Contes coréens/Nian et Tori-Si

La bibliothèque libre.
Traduction par Serge Persky.
Contes coréensLibrairie Delagrave (p. 76-78).
◄  L’Oncle
Les Chats  ►

NIAN ET TORI-SI


Nian et Tori-Si moururent lorsqu’ils n’avaient que seize ans.

Après leur mort, leurs âmes comparurent devant Okonchanté, le maître des cieux.

En attendant leur tour, le jeune homme et la jeune fille lièrent connaissance. Quand vint leur tour, il se trouva, informations prises, que l’âme du jeune homme Nian avait été appelée par erreur.

« Hé bien, retourne sur la terre, dit Okonchanté au jeune homme.

— C’est ennuyeux d’y aller tout seul ; ne puis-je retourner sur terre avec cette jeune fille, demanda le jeune homme.

— Non, ce n’est pas possible, parce que son tour de mourir est venu. »

Mais le jeune homme supplia de la manière la plus touchante et finit par déclarer qu’il ne voulait pas redescendre sur terre sans sa compagne

Il disait :

« Je n’ai aucun bien, il faut que je me marie, et où prendrai-je l’argent nécessaire ? Qui consentira sur terre à m’épouser ? Je suis si pauvre ! Les riches recherchent les riches, mais ici, tous sont égaux et nul n’a besoin d’argent ! »

La prière de Nian était si fervente que Okonchanté en fut touché.

« Je ne puis rien changer à ce qui est écrit dans le livre des destinées et je ne saurais où prendre une nouvelle vie pour cette jeune fille. Mais voici ce que je puis te proposer : d’après le livre des destinées, tu dois vivre jusqu’à 68 ans, donne autant d’années qu’il te plaira à ta compagne et emmène-la sur terre. »

Nian partagea en parties égales le restant de sa vie, il en prit une moitié et donna l’autre à la jeune fille.

« Suivez ce petit chien, leur dit alors Okonchanté.

— Nous allons d’abord faire une marque, » dit Nian.

Et chacun d’eux écrivit son nom sur le dos de l’autre.

Puis ils suivirent le chien et quand celui-ci, arrivant à une rivière, s’y jeta, ils s’y précipitèrent et du coup, leurs âmes regagnèrent dans leur corps.

Alors, chacun d’eux raconta aux siens ce qui lui était arrivé.

Du vivant de sa fille, le père de celle-ci avait décidé de la marier à un ami. Aussi feignit-il de ne pas croire à ce qu’elle racontait, assurant qu’une main complaisante avait écrit le nom de Nian sur le dos de Tori ; et il hâtait les préparatifs de la noce autrefois projetée.

Mais Nian se présenta le jour du mariage, et la jeune fille dit, en le désignant :

« Voici mon mari. »

Nian enleva alors son mantelet et tout le monde lut sur son dos le nom de Tori-si ; mais le père persista dans sa résolution.

« Ni le ciel ni L’enfer n’ont le droit de contrevenir à la volonté paternelle, » dit-il.

Alors Nian, ayant consulté Tori-Si, dit :

« Puisque Tori-Si ne veut pas garder ma vie, puisqu’on veut l’obliger à épouser un autre homme, je reprends les jours que je lui ai donnés en partage. »

Le père ne put rien répliquer ; irrité, il cria à sa fille :

« Loin de moi, tu n’es plus à moi ! »

Il avait dit la vérité : en effet Tori ne lui appartenait plus, elle appartenait à Nian ; et comme les deux époux savaient qu’ils n’avaient pas longtemps à vivre, ils s’aimèrent tendrement, éperdument.

Ils eurent trois enfants, et leur laissèrent une assez belle fortune.

Ils moururent ensemble, le même jour, à la même heure, à la même minute, au même instant.

Lorsqu’un voyageur passe devant leur tombe, les habitants du voisinage lui racontent l’histoire des amours de Nian et Tori-Si et quand on parle de deux personnes qui s’aiment de tout leur cœur, on dit :

« Ils s’aiment comme Nian et Tori-si. »