Contes coréens/Volmaï

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Traduction par Serge Persky.
Contes coréensLibrairie Delagrave (p. 86-94).

VOLMAI


Pendant le règne du roi Kosmi-Dzon-Tvan, le dernier de sa dynastie, vivait une jeune fille nommée Volmaï-Si, dont les parents étaient très riches. Elle reçut une excellente instruction et lisait le chinois aussi bien que son maître Orou-Chonsen, que tout le peuple honorait pour sa science.

Lorsqu’elle eut seize ans, Orou lui dit :

« Ton instruction est terminée. Par ton esprit et ton savoir, tu es digne d’être la femme d’un ministre.

— Si je possède tant de mérites, je le deviendrai, » répondit-elle.

Et pour cette raison, elle refusa sa main à tous les prétendants. Comme elle avait des sœurs cadettes, pour ne pas nuire à leur bonheur, Volmaï, d’accord avec ses parents, prit sa part d’héritage et quitta la maison paternelle. Elle ouvrit une hôtellerie au bord de la grand’route et sut si bien mener ses affaires que sa maison était toujours pleine de monde et que dans tout le pays on parlait d’elle avec éloge.

Ah ! dit le charbonnier, voilà une cliente que je connais.

Une fois, un jeune charbonnier qui poussait sa brouette remplie de charbon passa devant l’hôtellerie.

Comme elle avait besoin de combustible, elle l’appela et lui demanda ce qu’il voulait de sa marchandise.

Le jeune homme la regarda et dit :

« T’embrasser une fois et rien de plus.

— Ne demandes-tu pas un prix trop élevé ? demanda la jeune fille offensée.

— Je veux tout ou rien, c’est ma devise, répondit le charbonnier. Mais si tu trouves mon prix trop élevé, prends mon charbon pour rien. »

Ayant ainsi parlé, il jeta un sac de charbon aux pieds de la jeune fille et sortit avant qu’elle eût le temps de répondre.

Quelques jours s’écoulèrent et le beau charbonnier passa de nouveau devant l’hôtellerie de Volmaï. Mais il ne regarda même pas la jeune fille et poursuivit son chemin. Comme elle avait de nouveau besoin de charbon, elle fut obligée de l’appeler.

« Ah ! dit le charbonnier ; voilà une cliente que je connais. »

Et s’approchant d’elle, il jeta le charbon aux pieds de Volmaï et s’en alla.

Elle le rappela pour le payer, mais en vain. « Je sais comment tu paies, » lui répondit-il sans se retourner.

Le lendemain, quand la jeune fille se réveilla, il y avait dans sa cour un immense tas de charbon, plus qu’elle ne pouvait en employer, en une année.

Volmaï se sentit très troublée ; elle passa toutes ses journées postée près de la porte, à regarder dans la direction d’où venait, d’habitude, le charbonnier.

Lorsqu’elle l’aperçut enfin, elle alla au-devant de lui et lui dit :

« Je sais que le charbon entassé dans ma cour vient de chez toi.

— Oui, ce sont mes camarades qui l’ont apporté.

— As-tu donc le pouvoir de les commander ?

— J’ai mieux que le pouvoir de les commander, je possède leur amour. »

La jeune fille réfléchit un moment et dit :

« Je désirerais m’acquitter envers toi.

— Tu me fais grand plaisir, dit le charbonnier, et jetant son sac à terre, il embrassa la jeune fille si prestement qu’elle n’eut pas même le temps de penser quoi que ce soit.

— Aucun homme ne m’avait encore embrassée. Bon gré, mal gré, tu deviendras mon mari.

— En ce qui me concerne, je suis consentant. »

Et ils se marièrent.

« Voilà comment elle a épousé un ministre ! » dirent en riant tous les parents, les soupirants et les amies de la jeune fille.

Cependant les nouveaux mariés vivaient heureux.

« Sais-tu lire ? demanda un jour la jeune femme à son époux.

— Non, répondit-il joyeusement, pas plus que mon père et ma mère.

— Veux-tu que je t’apprenne ?

— Pourquoi pas ? J’étudierai quand les travaux de la maison m’en laisseront le temps. »

Cinq ans passèrent et le mari apprit tout ce que savait sa femme.

« Maintenant, va-t-en chez mon maître Orou, afin qu’il te fasse subir un examen. En même temps, rapporte-moi sa réponse à la question suivante : « Si la souche est bête et son rejeton idiot, n’est-il pas temps qu’un autre occupe le trône ? »

Le mari revint quelques jours après et rapporta cette réponse à sa femme :

« Oui, il est temps. »

Bientôt après, la femme dit à son mari :

« Invite à venir te voir trois de tes camarades, que tu choisiras parmi les plus intelligents et les plus influents. »

Quand le mari les eut invités, elle leur prépara un somptueux festin et le soir, elle leur dit :

« Veuillez monter demain à l’aube sur cette montagne-ci et racontez-nous ce que vous aurez vu. »

Le lendemain, quand les trois charbonniers furent montés sur la montagne, ils virent trois petits garçons.

L’un des enfants dit :

« Bonjour ! »

Le second dit :

« C’est demain, que l’on va chasser le vieux roi. »

Le troisième dit :

« Et l’on vous donnera de bonnes places. »

Puis les trois garçonnets disparurent et les charbonniers étonnés revinrent et racontèrent ce qu’ils avaient vu.

« Je savais tout cela, leur dit Volmaï, car je suis devineresse. Je vous dirai même ce qu’il convient de faire pour obtenir de bonnes places et chasser celui qui nous opprime. Dites à tous vos camarades de se rassembler ici ce soir et venez aussi. »

Quand tous les charbonniers se furent réunis à l’heure fixée, Volmaï fit entrer son mari dans sa chambre à coucher et lui dit :

« Il y a dix ans, j’ai résolu d’épouser un ministre. Je t’ai épousé, parce que, étant devineresse, j’ai pressenti tes hautes destinées. Maintenant, je te le dis, ton heure est venue : aujourd’hui même, tu seras nommé ministre et demain, le peuple tout entier te reconnaîtra pour tel. Tiens, prends cette hache. Tes camarades et toi, vous allez vous rendre, chacun de son côté, à la capitale, et vous rassembler près de la maison d’Orou. Toi seul tu entreras dans la maison du maître et tu lui diras : « Ma femme Volmaï te salue. Avec cette hache je briserai la serrure des portes du palais, puis j’accompagnerai les gens qui sont dans la rue et attendent mes ordres, pour remplacer la garde qui s’enfuira du palais. »

Tout se passa comme la femme l’avait prédit.

Quand le mari de Volmaï entra dans la maison d’Orou, il aperçut le maître de son épouse et quelques personnes qui discutaient pour savoir à qui serait attri­buée une charge de ministre encore vacante. Orou pro­posait le mari de Volmaï, les autres des candidats de leur choix.

Le beau charbonnier dit en entrant :

« Je suis le mari de Volmaï ; avec cette hache, je briserai la serrure des portes du palais et pour rempla­cer les gardes qui seront chassés, j’irai chercher les gens qui m’attendent dans la rue.

— Et tu agiras comme le meilleur des ministres de la guerre, » lui répondit Orou.

Il ne resta à tous les assistants d’autre parti que de crier : « E — e », ce qui signifie : « oui, oui ».

Puis, tandis que tous dormaient, le mari de Volmaï et ses compagnons s’en allèrent au palais. Brisant les serrures, ils prirent les gardes à l’improviste et leur crièrent : « Choisissez ! Vous allez nous livrer vos vête­ments, quitter le palais et vous taire sur ces événements, sinon c’est la mort immédiate. »

La garde se soumit à cette injonction. Les charbon­niers endossèrent les uniformes, le palais fut occupé et le roi pris.

Le lendemain, un autre roi, In-Dzan-Teven monta sur le trône, et des ministres nouveaux entrèrent en fonctions. Quand les anciens arrivèrent au palais, on leur proposa soit d’accepter le changement de régime, soit d’être exécutés sur-le-champ.

« Et où sont le vieux roi et son fils ? demandèrent-ils. — Ils ont été enlevés vivants au ciel.

— Oh ! c’est un grand honneur que nous ne méritons pas, » dirent les ministres et ils prêtèrent serment de fidélité au nouveau souverain.

Et tout reprit son cours. Orou, le maître et prophète vénéré, se rendit à la grand’place et, de manière à ce que tous l’entendissent, il prédit au jeune roi un long règne favorable au peuple et une dynastie qui durerait mille ans.

La prophétie d’Orou s’accomplit ; le souverain vécut pour le bien du peuple et les charbonniers restèrent gardes du palais.

Et c’est depuis cette époque que l’uniforme des gardes royaux est de couleur sombre.

Le mari de Volmaï fut ministre jusqu’à sa mort, et personne n’osa plus dire que Volmaï n’avait pas su bien choisir son époux.