Contes de l’Ille-et-Vilaine/La Tête du mort

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Contes de l’Ille-et-Vilaine
Contes de l’Ille-et-VilaineJ. Maisonneuve (p. 288-292).


LA TÊTE DU MORT.

Il y a bien près de cent ans, une jeune femme vint s’offrir comme domestique dans une auberge de Pont-Péan, qui servait de pension à des employés de la Mine. Elle semblait honnête et fut acceptée.

Cette femme, étrangère au pays, était fort belle, mais d’une beauté étrange : ses yeux noirs, durs et brillants, semblaient lire jusqu’au fond de l’âme de ceux qu’elle regardait. Jamais elle ne riait ni ne plaisantait avec qui que ce soit, et semblait même sous l’empire de souvenirs pénibles.

Elle produisit une vive impression sur l’esprit d’un comptable de la Mine, qui en devint éperdument amoureux.

Il demanda sa main qu’elle refusa d’abord, bien que ce fut un parti avantageux pour une servante. Le jeune homme ne se découragea pas : il redoubla d’attentions pour elle, et s’y prit de telle façon qu’il finit par vaincre sa résistance et la décida à l’épouser.

Le jour de la noce ayant été fixé, le fiancé alla, selon l’usage, inviter ses parents et amis à son mariage.

L’idée d’épouser cette belle fille, qu’il aimait de tout son cœur, le rendait fou de joie et, dans chaque maison où il entra, il accepta de boire et de trinquer à la santé de la nouvelle mariée ; aussi, en s’en revenant, était-il d’une gaîté extraordinaire.

En passant par un chemin creux, il mit le pied sur un gros caillou rond qui le fit trébucher.

— Toi aussi, dit-il au caillou, en éclatant de rire, je t’invite à ma noce.

À son grand étonnement, il entendit le caillou lui répondre :

— J’accepte ton invitation et tu peux être certain que j’assisterai à ton mariage.

Le jeune homme cessa de rire, se baissa et au lieu d’un caillou vit une tête de mort.

Ses cheveux se dressèrent sur sa tête, une peur effroyable s’empara de lui, et il se sauva à toutes jambes jusqu’à Pont-Péan.

Quand il arriva dans le village il était tard, et tout le monde dormait. Il rentra seul dans sa chambre où son sommeil fut agité jusqu’au lendemain matin ; mais lorsqu’il vit le jour pénétrer chez lui, il crut avoir fait un mauvais rêve et attribua à l’ivresse l’histoire de la tête de mort qu’il finit par oublier complètement.

La messe de mariage eut lieu à Bruz. Après la cérémonie, on alla manger la beurrée dans les divers cabarets du bourg et l’on ne revint à Pont-Péan que pour le repas.

C’était en octobre ; la nuit vient de bonne heure et, lorsque les invités entrèrent dans la grange où le festin devait avoir lieu, il faisait quasiment nuit. On alluma quelques quinquets fumeux apposés aux poutres.

Les servantes apportèrent les soupières pleines de soupe.

Lorsqu’on enleva le couvercle de celle qui avait été placée devant la mariée, il en sortit une tête de mort qui se mit à sauter sur la table autour des assiettes et des plats.

Les femmes jetèrent des cris perçants et se sauvèrent. La mariée eut une crise de nerfs, perdit connaissance, et l’on fut obligé de l’emporter chez elle. Aussitôt qu’on l’eut enlevée, la tête de mort disparut et les hommes, se rassurant les uns les autres, se remirent à table où ils furent rejoints par les bonnes femmes alléchées par l’odeur des mets qui parvenait jusqu’à elles.

Bientôt les têtes s’échauffèrent, car les mineurs boivent ferme, et les chants commencèrent.

Lorsque, vers dix heures, le marié put, sans contrarier ses amis, aller rejoindre sa femme, il rentra chez lui.

La pièce était dans l’obscurité la plus complète. Il avança doucement vers le lit, et appela sa bien-aimée par les noms les plus tendres. Personne ne lui répondit. Il approcha davantage et mit la main sur l’oreiller où il supposait que devait reposer une tête fraîche et charmante.

Il recula d’horreur : ses doigts s’étaient posés sur le crâne froid et glacé de la tête de mort.

— Ne crains rien, lui dit celle-ci : il vaut mieux, pour toi, que tu me trouves ici que celle que tu cherches, qui est possédée du démon.

Elle est partie au loin sans même songer au chagrin qu’elle allait te causer.

Non, l’infâme n’est plus là. Elle a fui pour m’éviter, mais je saurai la rejoindre.

Je l’ai aimée plus que toi peut-être, cette misérable sans cœur et sans entrailles qui, après s’être donnée à moi, a voulu recouvrer sa liberté. Elle n’a pas hésité, pendant que je dormais à côté d’elle, à me trancher la tête à coups de hache.

Par d’habiles mensonges, elle a pu faire croire à son innocence et éviter le châtiment de son crime ; mais la tête qu’elle a coupée la poursuivra jusqu’à sa dernière heure.

(Conté par Marie Patard, de la Croix Madame,
commune de Bruz, âgée de 24 ans).