Contes de l’Ille-et-Vilaine/Le Curé Gourmand

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Contes de l’Ille-et-Vilaine
Contes de l’Ille-et-VilaineJ. Maisonneuve (p. 199-201).


LE CURÉ GOURMAND

Un curé, d’un petit bourg de l’Ille-et-Vilaine, était extrêmement gourmand et aimait par-dessus tout l’oie grasse.

Un jour il dit à sa bonne :

— Il faudra que nous mangions une oie à nous deux. Chaque fois que tu en mets une à la broche, il nous arrive cinq à six convives, et c’est à peine si chacun de nous peut y goûter.

— C’est une affaire convenue, répondit la bonne, et pour qu’on ne voie pas l’oie à la cuisine, je la ferai rôtir dans votre chambre.

Le jour où l’oie fut servie sur la table, pour être mangée par le curé et sa bonne, ils aperçurent, venant de la campagne, toute une bande d’ecclésiastiques qui s’invitaient, sans façon, comme cela se pratique d’habitude dans les presbytères.

Le curé, les apercevant le premier, s’écria : « Cache l’oie, ma fille, voici de la compagnie qui nous arrive. »

En allant ouvrir la porte à ses confrères, l’infortuné prêtre prit un air souffrant et leur dit :

— Oh ! mes amis, comme vous arrivez mal aujourd’hui ! Je suis malade, très malade même, incapable de vous recevoir, et, d’ailleurs, je n’ai rien à vous donner à déjeuner.

— Nous le regrettons, répondirent les prêtres en faisant la grimace, ce sera pour une autre fois ; nous allons aller demander l’hospitalité dans un autre presbytère où nous serons peut-être plus heureux.

— C’est cela, mes amis.

Aussitôt qu’ils furent partis, le curé dit à sa bonne.

— Où as-tu mis l’oie ?

— Vous ne devineriez jamais où je l’ai cachée !

— Dans le cellier ?

— Non.

— Sous ton lit ?

— Non, non, vous ne la trouveriez jamais.

— Enfin, où est-elle ?

— Sous la nappe de l’autel, dans l’église.

Le presbytère était contigu à l’église et une porte y donnait accès.

Des couvreurs, occupés à réparer le toit de l’église, avaient senti l’odeur de l’oie, et étaient descendus voir d’où venait ce parfum alléchant. Trouvant la bête cuite à point, ils l’avaient dévorée à belles dents, et placé les os dans les mains des saints de l’autel.

Le curé dit à sa servante : « Va vite chercher l’oie que nous nous régalions. »

La fille y alla et revint aussitôt en criant au miracle ! « Les saints, dit-elle, ont mangé l’oie ! »

Le prêtre se rendit à son tour dans l’église, et lorsqu’il vit les saints brandissant les tibias de l’oie, il se prosterna la face contre terre, demandant à Dieu pardon de sa gourmandise, ne doutant pas que c’était une punition du ciel.

Conté par Nenotte Jumel, âgée de 68 ans,
couturière à la journée (Bain).