Aller au contenu

Contes des landes et des grèves/La fée de la Corbière

La bibliothèque libre.
Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 210-216).


XXIII

LA FÉE DE LA CORBIÈRE


Il y avait une fois à l’Isle en Saint-Cast, un bonhomme qui était bien malheureux ; il n’avait pas de pain chez lui, et ne pouvait sortir pour aller en gagner, car il avait si mal au pied qu’il ne pouvait marcher.

Un jour que le bonhomme Mignette — c’était son nom ou sa signorie (sobriquet), je ne sais plus au juste, — se désolait encore plus que de coutume, il vit entrer chez lui une bonne femme habillée de toile, qui lui demanda, bien honnêtement, pourquoi il se chagrinait si fort. Mignette lui raconta ses malheurs, et quand il eut fini, la bonne femme, qui était une fée, lui lécha le pied, et le guérit aussitôt. Elle lui donna aussi un pantalon de toile et lui dit :

— Voilà un pantalon ; tu pourras le porter tant que tu voudras, il ne s’usera point.

Le bonhomme remercia de son mieux la fée, et elle disparut sous terre.

Quelques jours après, des laboureurs qui étaient à travailler au proche de la houle de la Corbière, entendirent les fées qui criaient :

— Pâte au four, coûamelle[1], il est chaud !

— Faites-moi une galette ! s’écria un des hommes, et il continua à travailler.

Moins de dix minutes après, l’homme qui avait demandé de la galette en vit devant lui une de belle apparence, qui était toute jaune et toute dorée.

— Je vais bien me régaler, dit-il, en coupant un morceau.

Mais quand il l’eut ouverte, il vit qu’elle était remplie de poils.

— Vieille maudite ! s’écria-t-il, je te voudrais hachée en morceaux, menu, menu comme chair à pâté ; tu peux remporter ta galette !

Aussitôt elle disparut, et quelques instants après arriva le bonhomme Mignette. Il était riche et heureux depuis que la fée l’avait visité, et les laboureurs, qui travaillaient pour lui, lui racontèrent ce qui venait de se passer.

— Comment avez-vous parlé aux fées ? demanda Mignette.

— Ma foi, répondit le laboureur qui avait demandé la galette, je leur ai dit : « Faites-moi une galette. »

Le bonhomme Mignette se mit à crier à son tour :

— Mesdames les fées, envoyez-nous, s’il vous plaît, une galette.

Aussitôt se présenta devant eux une belle galette, toute jaune et toutes dorée. Ils s’empressèrent de la manger, et comme elle était à leur goût, ils remercièrent les fées tous ensemble.

Il fut beaucoup parlé de cela dans le village, et le lendemain une femme de l’Isle se rendit à la houle de la Corbière, et elle entra sans crainte dans la grotte. Elle marcha assez longtemps et elle arriva devant un endroit où elle vit sept portes. Elle alla hardiment frapper à la première :

— Qui est là ? demanda la portière en ouvrant la porte tout au large.

— C’est une pêcheuse de Saint-Cast, répondit la femme.

— Que demandes-tu ?

— Rien ; je suis venue ici pour voir Mesdames les fées dont j’ai entendu parler, et on m’a dit que c’étaient de bien bonnes personnes.

— Entrez, ma brave femme, dit la portière.

La pêcheuse franchit la porte et arriva dans un beau salon où elle vit les fées qui tournaient leurs rouets et filaient, et les rouets chantaient et jouaient comme des musiques. À mesure que le fil se faisait et se déroulait, un régiment de petits fions prenaient le fil, le dévidaient, le tissaient et ils n’étaient guère de temps à faire une pièce de toile.

La femme de Saint-Cast était bien ébahie de voir les rouets qui jouaient de la musique, et les petits fions qui tissaient, et elle restait à les regarder. Quand vint l’heure du dîner, les fées invitèrent la pêcheuse à se mettre à table avec elles. Elle mangea de bon appétit, et trouva tout à son goût.

Quand le repas fut fini, un des petits fions se mit à chanter ; les autres répétaient, et ils chantaient si bien que la femme restait en extase à les écouter. Quand leur chanson fut finie, la pêcheuse de l’Isle remercia les fées et leur dit qu’elle allait s’en retourner au village et qu’elle était bien contente.

— Connaissez-vous Mignette ? lui demanda une des fées, le bonhomme Mignette, à qui j’ai guéri le pied.

— Oui, répondit la femme ; il demeure dans mon village.

— Quand vous serez rendue, dites-lui, s’il vous plait, de venir me parler.

— Volontiers, dit la pêcheuse.

— Et que désirez-vous pour votre commission ? demanda la fée.

— Du pain pour toute ma vie, dit la femme.

— En voilà, dit la fée en lui donnant une gâche. Elle ne diminuera point et restera toujours fraîche ; de plus je vous donne une baguette que voici : tout ce que vous lui demanderez vous l’aurez ; mais il ne faudra dire à âme qui vive que vous êtes venue ici — à l’exception de Mignette — et de ne point parler des présents que je vous ai faits.

— Je vous le promets, dit la femme.

Elle remercia la fée, puis elle sortit de la houle et retourna au village. Sitôt rendue, elle alla chez Mignette et lui fit la commission dont la fée l’avait chargée.

— Je vais tout de suite à la houle, répondit Mignette.

Et aussitôt il partit. Quand il fut avec les fées, celle qui l’avait guéri lui demanda s’il voulait se marier avec elle.

— Volontiers, dit Mignette.

Mais comme Mignette était déjà vieux, et qu’il avait été baptisé, les fées chauffèrent leur four, et quand il fut bien chaud, elles y jetèrent le bonhomme. Lorsqu’il fut réduit en cendres, une des fées prit les cendres et les ayant pétries, fit un joli petit bonhomme qu’elle alla coucher dans un lit, et au bout d’une demi-heure Mignette, qui avait passé par le feu, ressuscita, et il était tout jeune et joli garçon.

Et comme il n’était plus baptisé, il se maria avec la fée et il vécut heureux avec sa femme et les autres bonnes dames.

La pêcheuse à qui la fée avait donné la baguette de vertu et le pain qui ne diminue point, se garda bien de bavarder. Aussi elle vécut heureuse jusqu’à la fin de ses jours.


(Conté en 1881, par Toussainte Quémat, de Saint-Cast, âgée de 78 ans.)
  1. Jeune fille.