Contes des landes et des grèves/La chasse mortelle

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Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 206-209).


XXII

LA CHASSE MORTELLE


Au temps jadis il y avait un roi qui était si jaloux de ses droits de chasse, qu’il avait défendu sous peine de mort de chasser dans ses forêts, et il faisait pendre sans rémission ceux qui étaient pris par ses gardes.

Il eut besoin de quitter son royaume pour un voyage, et en partant il renouvela ses ordonnances et donna à ses gardes les instructions les plus sévères, jurant sa parole de roi que celui qui serait assez hardi pour mépriser sa défense serait mis à mort, quel qu’il fut.

Ce roi avait deux fils qui, peu de temps après le départ de leur père, eurent envie de chasser. Quand ils voulurent entrer dans la forêt royale, les gardes s’y opposèrent, en disant que la défense était pour tout le monde ; mais les princes dirent que leur père avait sans doute eu l’intention de faire exception pour eux, et ils menacèrent les gardes d’entrer de force dans la forêt, s’ils ne consentaient pas à les y laisser pénétrer de plein gré. Les gardes cédèrent, et pendant plusieurs jours les princes se livrèrent au plaisir de la chasse.

À son retour le roi s’aperçut qu’on avait enfreint ses ordres, et il fit venir ses gardes ; il leur reprocha durement leur négligence, et il jura de les faire pendre, s’ils ne lui découvraient les noms des coupables.

— Ce sont vos fils, sire, qui ont chassé, et nous n’avons osé porter la main sur eux.

— Ils mourront, dit le roi ; j’ai donné ma parole de punir, et les paroles de roi ne se cassent point.

Cependant, quand sa colère fut calmée, ses conseillers lui représentèrent que ces deux princes étaient les seuls héritiers du royaume, et que l’intérêt même de l’État exigeait qu’ils ne fussent pas mis à mort. Mais tout ce qu’on put obtenir du roi, c’est qu’un seul des deux coupables subirait la peine, et il décida que le sort désignerait celui qui porterait sa tête sur l’échafaud, pour dégager la parole royale.

Il fit préparer deux chambres dans son château : l’une était ornée des meubles les plus somptueux, et d’un dais sous lequel on voyait le trône ; l’autre était tendue de noir, et au milieu étaient le billot avec la hache de l’exécuteur et la chasse pour recevoir le corps de celui qui devait mourir.

Le roi fit écrire deux billets, portant écrit le sort de ceux qui les tireraient : l’aîné, qui fut appelé le premier, prit un des papiers ; on y lisait le mot « Royauté », et le plus jeune ayant déplié son billet, trouva dessus ce simple mot « Mort ».

Et peu après le bourreau lui coupa la tête, et son cadavre fut mis dans la chasse et porté en terre.


(Conté en 1878, par Jean Bouchery de Dourdain.)