Contes des landes et des grèves/La fiancée du lion

La bibliothèque libre.
Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 117-127).

X

LA FIANCÉE DU LION


Il était une fois une jeune fille qui traversait une forêt vers le soir, et elle avait hâte d’en sortir avant la tombée de la nuit ; aussi elle se pressait et marchait rondement.

À un détour du sentier, elle crut entendre des cris plaintifs qui partaient de derrière un buisson et, comme elle pensait qu’il y avait peut-être là quelqu’un qui avait besoin de secours, elle se dirigea de ce côté ; mais, au lieu de rencontrer une créature humaine, elle se trouva face à face avec un lion. Elle eut bien peur, comme vous le pensez ; mais le lion avait l’air doux comme un mouton ; il lui souhaita le bonjour de sa voix la plus douce, et fit de son mieux pour la rassurer.

— N’ayez nulle crainte, jeune fille, lui dit-il ; je ne suis pas un lion ordinaire ; mais un homme. J’ai été métamorphosé par une fée et j’ai encore sept années à rester au milieu du bois sous la forme que vous voyez. Si vous consentiez à demeurer avec moi, je trouverais le temps moins long : pour votre récompense, je promets de vous épouser quand je serai redevenu homme ; alors je vous emmènerai à mon château et je vous donnerai tout ce que vous voudrez, car je suis aussi riche qu’un prince.

La jeune fille hésita longtemps ; mais le lion la pria tant, qu’elle eut pitié de lui, et elle consentit à rester à lui tenir compagnie. Il en était si content qu’il en sautait de joie ; il la conduisit dans une jolie cabane qu’il avait au milieu de la forêt. Elle ne manquait de rien, et le lion faisait tout ce qu’il pouvait pour lui être agréable. Malgré cela, elle s’ennuyait parfois, et elle avait bonne envie que les sept années fussent passées, pour revenir au milieu des hommes.

Le temps s’écoula, et quand la septième année fut révolue, la peau du lion tomba, et elle vit devant elle un beau jeune homme qui lui prit la main et lui dit :

— Tu m’as tenu fidèle compagnie pendant sept ans ; c’est à moi maintenant d’accomplir ma promesse, et de t’épouser. Mais il faut que je retourne au château de mes parents pour demander leur consentement ; dès que je l’aurai, je reviendrai te chercher.

Avant de quitter la jeune fille, il lui donna une robe couleur du soleil, une branche de laurier en or, et une tabatière aussi en or, et il lui dit que chacun de ces objets éclairait aussi bien la nuit qu’une douzaine des meilleures lampes.



Il partit, et elle alla demeurer dans un village sur la lisière de la forêt, en attendant que son fiancé vînt la chercher. Elle avait grande envie de le revoir ; mais les jours et les semaines se passaient et elle ne le voyait point revenir. Comme elle savait où demeuraient les parents du jeune homme, elle se mit en route pour leur pays. Elle marcha longtemps, et au bout de quinze jours elle arriva devant un beau château ; tout auprès il y avait un étang, et des lavandières y lavaient du linge. Elle leur demanda si c’était bien là que demeurait le jeune homme, dont elle leur dit le nom.

— Oui, répondirent les lavandières, c’est là le château de ses parents ; il se marie dans quinze jours, et c’est à cause de ses noces que nous sommes ici à faire la lessive.

La jeune fille avait le cœur gros, et elle avait envie de pleurer en entendant ces paroles ; elle se contint pourtant parce qu’elle était courageuse, et elle leur dit :

— Savez-vous si au château on n’aurait pas besoin d’une lingère ?

— Je pense que si, répondit une des lavandières, Madame disait hier qu’elle serait bien aise d’en avoir une.

La jeune fille alla se présenter au château ; on la loua comme lingère, et on la conduisit dans une chambre où elle travailla tout le jour. À la tombée de la nuit, la fiancée du jeune homme vint pour lui apporter de la lumière ; mais, en entrant dans la chambre elle fut bien étonnée de voir qu’elle était éclairée comme en plein jour : la jeune fille avait posé sa robe couleur du soleil sur un lit, et c’était elle qui donnait toute cette clarté.

— Ah ! dit la fiancée, j’étais venue pour vous apporter de la lumière ; mais je vois que vous n’en avez pas besoin, puisque votre belle robe d’or éclaire mieux que vingt lampes. Je n’en ai jamais vu une pareille ; si vous voulez me la vendre, je vous la paierai le prix que vous voudrez.

— Non, répondit la jeune fille, je ne la vendrai ni pour or ni pour argent, mais je vous la donnerai pour rien, si vous me laissez passer une nuit dans la chambre de votre fiancé.

La demoiselle eut quelque peine à y consentir ; mais la robe était si belle, et elle en avait si grande envie, qu’elle finit par céder. Mais le soir, avant d’introduire la lingère dans la chambre, elle fit boire à son fiancé une tasse de tisane dans laquelle elle avait mis une drogue qui devait le faire dormir jusqu’au matin.

Quand la jeune fille fut dans la chambre, elle s’approcha du lit où le jeune homme était couché, elle l’appela par son nom, et se mit à lui reprocher d’avoir oublié la promesse qu’il lui avait faite pendant qu’il était changé en lion ; mais il ne l’entendait point ; elle eut beau lui prendre la main, et même le pincer, il ne se réveilla point, et au matin la jeune fille, le cœur bien gros, retourna travailler à sa lingerie.

Lorsqu’arriva le soir, la demoiselle vint encore pour lui apporter de la lumière ; mais la branche de laurier d’or était posée au milieu de la chambre et l’on y voyait comme en plein jour.

— Ah ! dit la demoiselle, j’étais venue pour vous apporter de la lumière, car il se fait tard ; mais vous n’en avez pas besoin, puisque votre beau laurier d’or éclaire mieux que vingt lampes. Je n’en ai jamais vu un pareil ; vendez-le moi ; je vous le paierai un bon prix.

— Non, répondit la jeune fille, mon laurier d’or n’est point à vendre ; mais je vous le donnerai pour rien, si vous voulez me laisser passer une nuit dans la chambre de votre fiancé.

La demoiselle fit plus de difficultés que la veille ; mais la branche d’or était si belle, que plus elle la regardait, plus elle avait envie de l’avoir, et elle finit par céder au désir de la jeune fille. Le soir celle-ci donna encore à son fiancé une tasse de la tisane qui faisait dormir jusqu’au matin ; aussi, quand elle fut dans la chambre, elle eut beau s’approcher du lit où le jeune homme était couché, l’appeler par son nom, et lui rappeler qu’elle lui avait tenu compagnie pendant sept années, il n’entendait rien ; elle lui prit la main et même le pinça plus dur que la veille : il dormait si profondément qu’il ne se réveilla point, et, au matin, elle retourna, le cœur bien gros, travailler à sa lingerie.

Le maître-jardinier du château, qui couchait dans une chambre voisine de celle de son maître, avait entendu la voix de la jeune fille ; il vint trouver son maître et lui dit :

— Monsieur, avec votre permission, je viens vous dire que les deux dernières nuits j’ai entendu parler dans votre chambre ; c’était une voix de femme qui vous faisait des reproches et se plaignait de vous. Il faut que vous ne l’ayez pas entendue, car autrement vous l’auriez mise à la porte.

— Je sais à peu près ce que c’est, répondit le jeune homme ; tous les soirs on m’apporte une sorte de tisane, sous prétexte que je suis enrhumé, et dès que je l’ai bue, je m’endors, et je ne me réveille que bien avant dans la matinée. Je te remercie de ton avis, mon ami, et je vais en profiter ; mais ne parle de cela à personne.

À la tombée de la nuit la demoiselle vint encore avec de la lumière à la chambre où travaillait la lingère ; mais la tabatière en or était posée sur la table, et l’on y voyait comme en plein jour.

— Ah ! dit la demoiselle, je vois qu’aujourd’hui encore vous n’avez pas besoin de lumière, puisque votre belle tabatière d’or éclaire mieux que vingt lampes. Je n’en ai jamais vu une pareille ; vendez-la moi, et je vous la paierai bien.

— Non, répondit la jeune fille, ma tabatière n’est point à vendre ; mais je vous la donnerai pour rien, si vous voulez me laisser passer encore une nuit dans la chambre de votre fiancé.

La demoiselle fut longtemps à se décider ; mais la tabatière en or était si belle, qu’elle céda, en pensant que le jeune homme dormirait jusque bien avant dans la matinée.

Quand il fut au moment de se coucher, elle lui présenta encore une tasse de tisane dans laquelle elle avait mis plus de drogues que les autres fois ; le jeune homme fit mine de la boire, mais il jeta la tisane dans la ruelle du lit, et peu après il se mit à ronfler comme s’il dormait profondément.

La jeune fille entra dans la chambre, elle l’appela par son nom, et se mit à lui rappeler qu’elle lui avait tenu fidèle compagnie pendant sept années, et qu’il lui avait promis de l’épouser.

Le jeune homme la laissa parler pendant quelque temps, puis il ouvrit les yeux et lui dit :

— Oui, c’est vrai ; c’est toi qui as consenti à rester avec moi pendant sept ans au milieu de la forêt, et j’avais promis de t’épouser. Je ne sais comment j’avais pu l’oublier ; peut-être est-ce un dernier tour de la fée qui m’avait changé en lion. Pardonne-moi ; c’est toi seule que j’aime, et dès demain j’irai dire à mes parents que c’est toi qui seras ma femme.

Le lendemain, il alla raconter ses aventures à ses parents : quand ils surent que la jeune fille avait passé avec lui dans la forêt les plus belles années de sa jeunesse, alors qu’il était changé en lion, ils la firent venir, et comme elle était jolie et de bonne mine, ils consentirent sans peine au mariage.

La demoiselle dut rendre la belle robe couleur de soleil, le beau laurier en or, et la belle tabatière en or, parce qu’elle ne les avait pas gagnés loyalement, et, elle s’en retourna chez elle, bien marrie.

Le mariage eut lieu huit jours après ; le jeune homme et sa femme vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours, et ils eurent bien soin du maître-jardinier qui avait été cause de leur bonheur.


(Conté en 1886 par J.-M. Comault, du Gouray.)