Contes des landes et des grèves/Le renard doré

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Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 104-116).

IX

LE RENARD DORÉ


Il était une fois un homme qui avait trois fils ; à sa mort il leur laissa pour tout héritage un coq, un chat et un cerisier. Il n’y eut pas besoin de notaire pour les partages, qui se firent à l’amiable, et une fois que chacun fut en possession de son lot, il tâcha d’en tirer le meilleur parti possible.

L’aîné, auquel le coq était échu en partage, se mit en route avec lui pour aller chercher fortune. Il alla loin, bien loin, encore plus loin que je ne dis, et il finit par arriver à une maison où il demanda asile pour la nuit. Mais il était à peine couché, lorsqu’il entendit les gens dire qu’il leur fallait se lever le lendemain, bien avant le soleil.

— Pourquoi, demanda-t-il, avez-vous besoin de vous lever si matin ?

— C’est, répondirent-ils, parce que nous sommes obligés d’aller au bord de la mer chercher le jour dans des charrettes.

— Vous n’aurez pas besoin d’y aller demain, leur dit-il ; J’ai un petit animal à plumes : chez nous on l’appelle un coq ; dès qu’il aura chanté, le jour arrivera.

Les gens du pays avaient bonne envie de savoir si cela était vrai, et de peur de manquer d’entendre chanter le coq, ils ne purent s’endormir cette nuit-là. Au matin, le coq se mit à chanter ; aussitôt les gens de la maison se mirent à la croisée, et virent que le jour arrivait. Ils se hâtèrent d’aller raconter la chose au seigneur du pays, qui fit venir le garçon, et lui demanda à acheter l’animal qui faisait venir le jour.

— Je veux bien le céder, dit-il ; mais à la condition que vous me donnerez un cheval chargé d’or.

— Un cheval chargé d’or, soit, répondit le seigneur.

Et le jeune garçon fut bien aise d’être devenu riche, grâce à son coq.

Celui qui avait hérité du chat se mit aussi en route avec son chat ; il alla loin, bien loin, encore plus loin que je ne dis ; il finit par arriver dans une île, et frappa à la porte d’une maison où il demanda à coucher.

— Volontiers, répondit l’hôte ; mais je dois vous prévenir que dès que la nuit est venue, il arrive de petits animaux qui rongent tout et ne laissent personne dormir.

— J’ai avec moi, dit le garçon, un petit animal ; on l’appelle chat dans mon pays, qui sait bien faire la guerre aux rats et aux souris.

La nuit venue, les rats et les souris s’attirèrent de tous les coins ; aussitôt le garçon mit son chat dans la place, et il étrangla tant de rats et de souris, qu’on ne pouvait faire un pas dans la maison sans marcher sur leurs cadavres.

Le seigneur du pays ayant appris qu’un étranger possédait un animal si merveilleux, le fit venir à son château. Il y avait là tant de souris et de rats, que lorsque le seigneur était à table les souris couraient sur les plats, et que les rats mettaient les pieds dans la soupe.

Le jeune garçon vint au château ; son chat étrangla plus de cent souris et autant de rats, en moins de rien. Le seigneur lui demanda à acheter son chat.

— Je le veux bien, répondit-il ; mais à la condition que vous me donnerez deux beaux mulets, chargés d’or.

— Volontiers, dit le seigneur ; mais il faut aller chercher la famille de cet animal, afin que tout le pays soit peuplé de sa race.

Le jeune garçon laissa son chat au château, et revint dans son pays où il acheta à bon compte la chatte d’un de ses voisins, et il revint avec elle chez le seigneur.

— Elle est gentille, dit celui-ci, mais il faut que vous demeuriez avec moi jusqu’à ce qu’elle ait fait des petits chats.

Le jeune homme resta au château ; au bout de deux mois il y eut de jolis petits chats, et à cette occasion on fit de grandes réjouissances dans toute l’île, et le seigneur donna au garçon deux beaux mulets chargés d’or.




Le cerisier donnait des fruits en toute saison, et celui qui en avait hérité en mangeait tant qu’il voulait, et il vendait facilement le reste, parce qu’elles étaient de bonne qualité. Ses voisins l’appelaient le Marquis de Carabas.

Un jour qu’il était monté dans son cerisier, compère le Renard passa et lui dit :

— Que fais-tu sur cet arbre ; marquis de Carabas ?

— Je cueille des cerises. En veux-tu, compère Renard ?

— Volontiers ; je te remercie.

Le garçon lui donna des cerises, et des plus belles ; compère Renard en mangea quelques-unes, puis il alla porter au roi celles qui lui restaient.

— Sire, dit-il, voilà des badies que le marquis de Carabas vous envoie.

— Il est bien riche, le marquis, pour avoir des cerises aussi belles ; qu’est-ce que tu veux pour ta peine, compère le Renard ?

— Je désirerais, dit-il, que vous me fassiez dorer le bout de la queue.

Le doreur vint dorer la queue du Renard, qui s’en alla, et sa queue brillait au soleil. Comme il s’en revenait, il trouva des perdrix sur sa route.

— Compère le Renard, lui dirent-elles, comme tu es beau ; le bout de ta queue est comme de l’or.

— Si vous voulez venir avec moi, vous serez aussi belles et aussi dorées que moi, répondit-il.

Les perdrix le suivirent, et compère le Renard les mena au roi, à qui il dit :

— Sire, voilà des perdrix que le marquis de Carabas vous envoie.

— Il est donc bien riche, le marquis de Carabas ! dit le roi ; que veux-tu pour ta peine, compère le Renard ?

— Je voudrais que vous me fassiez dorer les quatre pattes.

Le doreur vint dorer les quatre pattes à compère le Renard, et il était encore plus beau qu’avant. Comme il s’en revenait, il passa près d’un champ où il y avait une bande de lièvres.

— Ah ! compère le Renard, s’écrièrent-ils, comme tu es beau ! ta queue et tes pattes ont l’air tout en or.

— Si vous voulez venir avec moi, vous serez aussi beaux et aussi bien dorés que moi.

Les lièvres le suivirent et sur la route ils racontaient cela aux autres lièvres qui se joignaient à eux pour se faire dorer.

Compère Renard arriva à la cour avec un régiment de lièvres, et il dit au roi :

— Sire, voilà des lièvres que le marquis de Carabas vous envoie.

— Il est donc bien riche, le marquis de Carabas, répondit le roi. Que veux-tu pour ta peine, compère le Renard ? je n’ai rien à te refuser.

— Sire, répondit-il, je voudrais que vous me fassiez dorer le reste du corps.

Le doreur vint achever de dorer compère le Renard, qui était tout jaune et tout brillant comme le soleil.

Il alla trouver le marquis de Carabas et il lui dit que le roi voulait lui parler. Le garçon le suivit, et quand ils approchèrent de la cour, compère le Renard lui dit de se déshabiller. Quand il fut tout nu, le Renard se mit à crier :

— Au secours ! au secours !

Les gens du roi arrivèrent et il leur dit :

— Comme M. le marquis arrivait dans son carrosse, il est venu une bande de brigands qui l’ont attaqué, volé et mis nu comme la main.

Les gens du roi allèrent chercher des habits chez leur maître et ils les apportèrent à compère le Renard, qui dit :

— Ceux qui nous ont été volés étaient plus beaux, mais n’importe ; mais cela empêchera toujours M. le marquis de s’enrhumer.

Le marquis de Carabas et compère le Renard vinrent à la cour ; le roi le reçut de son mieux et il lui dit qu’il aurait bien voulu voir son château ; le garçon répondit qu’il ne demandait pas mieux, car il avait confiance dans l’adresse de compère le Renard, qui lui voulait du bien.

Ils se mirent en route, et compère le Renard, tout doré, marcha devant eux. Il arriva dans une prairie où des lavandières mettaient du beau linge à sécher.

— Vous ne voyez pas le roi venir ? leur demanda-t-il.

— Non, nous ne le voyons pas.

— Il va passer dans son carrosse ; si vous ne dites pas que tout le linge est au marquis de Carabas, il viendra vous tuer.

Quand le roi arriva à la prairie, il dit aux lavandières :

— À qui est cette belle prairie et ce beau linge ?

— Au marquis de Carabas.

— Ah ! dit le roi, vous avez là une belle pièce.

— C’est peu de chose, répondit le marquis.

Compère le Renard, continuant sa route, arriva dans des champs où il y avait du monde à scier du blé.

— Vous ne voyez pas le roi venir ?

— Non, répondirent-ils, nous ne le voyons pas.

— Il va bientôt passer dans son carrosse ; si vous ne dites pas que tout ce blé est au marquis de Carabas, il viendra vous tuer.

Quand le roi arriva aux champs, il dit aux scieurs :

— À qui sont ces blés ?

— Au marquis de Carabas.

— Ah ! dit le roi, vous avez de bien belles moissons.

— Ah ! sire, c’est peu de chose.

Compère le Renard vint dans une prairie où pâturaient des bœufs ; il dit aux pâtours :

— Vous ne voyez pas le roi venir ?

— Non, répondirent-ils, nous ne le voyons pas.

— Il va bientôt passer dans son carrosse ; si vous ne dites pas que tous les bœufs sont au marquis de Carabas, il vous tuera.

Quand le roi arriva à l’endroit où pâturaient les bœufs, il dit aux pâtours :

— À qui sont ces bœufs ?

— Au marquis de Carabas.

— Ah ! dit le roi, vous avez de bien beaux bœufs.

— Ah ! sire, c’est peu de chose.

Compère le Renard arriva à un couvent de moines, aussi beau que le palais d’un roi ; il leur dit :

— Vous ne voyez pas venir le roi ?

— Non, répondirent-ils, nous ne le voyons pas.

— Il va bientôt passer dans son carrosse, et il vient pour vous tuer car il déteste les moines. Si vous voulez qu’il ne vous trouve pas, il faut vous cacher au milieu de cette mée de glé (amas de paille) et ne pas en bouger ; il n’aura pas l’idée de vous chercher là.

Les moines se fourrèrent au milieu de la paille ; compère le Renard entra dans le couvent et il dit aux domestiques :

— Le roi va venir tout à l’heure ; si vous ne dites pas que tout appartient au marquis de Carabas, il vous tuera.

Le roi vint au couvent, où il fut servi aussi bien que chez lui. Après le repas, il alla se promener, et comme il passait près de l’amas de paille, compère le Renard lui dit :

— Il y a de beaux rats dans cette paille, qui dévorent tout.

— Comment faire pour s’en débarrasser ? demanda le roi.

— Il faut mettre le feu dedans.

Le feu fut mis à la paille ; les moines furent grillés, excepté deux ou trois qui s’échappèrent, et le marquis de Carabas resta maître du couvent avec compère le Renard, qui était doré de partout et brillant comme le soleil.


(Conté en 1880, par Joseph André, de Trébry, couturier et chantre.)