Contes des landes et des grèves/Le fermier rusé

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Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 266-269).

XXXIII

LE FERMIER RUSÉ


Il y avait un fermier dont la récolte avait été mauvaise, et qui ne pouvait payer son maître. Celui-ci lui dit qu’il le tiendrait quitte de tout, s’il voulait vendre une vache et lui en donner le prix.

Le fermier alla à la foire, conduisant sa vache avec une corde, et portant son chat sur l’épaule.

— Combien la vache ? demandaient les marchands.

— Un écu, répondait-il, et le chat quarante écus ; mais je ne les vends pas l’un sans l’autre.

Cela parut bizarre aux acheteurs ; toutefois comme la vache était bonne, il s’en trouva un qui l’acheta, ainsi que le chat et donna quarante et un écus pour le tout.

Après la foire, le fermier alla trouver son maître, et lui remit un écu, en lui offrant de prouver par témoins que c’était bien là le prix réel de la vache qu’il avait vendue ; et le maître, lié par sa promesse, fut obligé de s’en contenter.

Le domestique d’un recteur, qui avait entendu leur conversation, et appris qu’un seul chat avait été payé quarante écus, ramassa dans un sac tous les chats qu’il put trouver, et les porta à la foire.

— Qu’as-tu dans ton sac ? lui demandait-on.

— Des chats à quarante écus la pièce.

— Tu n’as pas de honte ? disaient les marchands, en riant de lui et en haussant les épaules.

— Non, messieurs, pas aujourd’hui ; mais j’en aurai peut-être une autre fois.

Il ne trouva point à vendre sa marchandise, qu’il remporta en disant :

— La foire n’était pas bonne pour les chats ; mais il parait qu’elle était bonne pour la honte, puisque tout le monde me demandait si j’en avais.

À quelque temps de là, le recteur qui avait du monde à dîner envoya son garçon chercher des huîtres.

En revenant avec son panier au bras, il rencontra un chasseur qui lui demanda ce qu’il portait.

— Ma foi, dit-il, ce sont de drôles de bêtes que mon maître m’a dit d’aller lui chercher.

— Te les a-t-on données avec les boyaux ?

— Oui.

— Ah ! mon pauvre garçon, on s’est moqué de toi ; mais je vais les étriper, moi.

Il ôta effectivement le dedans des huîtres et lui donna les écailles ; le domestique alla les porter à la cuisinière.

— Où avez-vous pris cela ? dit-elle, sur quelque tas de fumier ?

— Non, répondit-il ; mais j’ai été bien heureux de trouver en route un brave monsieur qui les a étripées.

Peu après, le chasseur qui venait dîner au presbytère, entra, et le domestique lui dit :

— Ah ! monsieur, c’est notre servante qui est sotte ! elle prétend que j’ai pris ces petites bêtes sur un tas de fumier. Je sais bien que ce n’est pas vrai, puisque vous avez eu l’obligeance de leur ôter les tripes.

En entendant cela, le chasseur se contracta la bouche et dit :

— Celui qui t’a aidé avait-il la bouche de travers ?

— Non, monsieur.

— Alors ce n’est pas moi.


(Conté en 1878, par Constant Joulaud, de Gosné).