Contes des landes et des grèves/Les deux diots

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Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 259-265).


SECONDE PARTIE

Les Facéties et les Bons Tours




XXXII

LES DEUX DIOTS



U
l y avait une fois deux frères qui n’étaient pas trop fins ; ils mirent sans le vouloir le feu à leur maison, et tout ce qu’ils possédaient fut brûlé. Ils prirent chacun un bissac et allèrent de tous côtés quêter pour la fortune du feu. Ils finirent par ramasser de quoi construire une autre maison ; mais quand ils voyaient le feu flamber trop fort dans leur foyer, ils se mettaient à l’injurier, et parfois à le frapper.

Un jour qu’il flambait plus que de coutume, un des frères prit son bâton et se mit à cogner dessus en criant :

— Ah ! coquin de feu, je vais te tuer !

Mais les tisons ne s’éteignaient point, de sorte que le garçon s’écria :

— Ah ! je ne peux te tuer, mais je vais t’étouffer !

Il prit le linge des armoires pour étouffer le feu, et comme il n’y parvenait pas encore, il jeta dessus les couettes, en disant :

— Cette fois tu seras étouffé, ou tu as la vie dure.

Mais le feu consuma les draps et les couettes, et il brûla encore la maison.

Alors les deux frères se réfugièrent chez une cousine qui était plus fine qu’eux, et ils mirent encore un bissac sur leur dos pour aller quêter. Sur leur route ils rencontrèrent une église dont la porte était ouverte ; ils y entrèrent en disant :

— Bonjour ! charité pour la fortune du feu.

Mais il n’y avait dans l’église que des saints de bois qui ne pouvaient leur répondre.

— Que vas-tu me donner pour la fortune du feu ? demanda un des diots au saint le plus près.

— Ah ! dit l’autre diot, il ne répond rien, et on lui fait des honnêtetés. Il faut l’assommer, puisqu’il a le cœur si dur, et son camarade aussi, qui ne dit rien et ne vaut pas mieux que lui.

Ils se mirent à frapper les saints à grands coups de bâton ; les saints tombèrent à terre ; l’un d’eux avait dans la tête un trésor, et le recteur avait caché sa bourse dans la mitre de l’autre, qui était un évêque.

Les deux diots ramassèrent la bourse, et ils étaient bien contents.

— Il paraît, se disaient-ils, que c’est dans leur tête que les vieux bonshommes cachent leur argent.

Sur leur route ils rencontrèrent un vieil homme occupé à réparer un talus ; ils prirent sa bêche qui était à côté de lui et l’assommèrent, pensant trouver un trésor dans sa tête ; mais quand ils virent qu’il n’y avait rien dedans, ils le jetèrent dans un puits, et vinrent raconter à leur cousine ce qu’ils avaient fait. Celle-ci, qui avait plus de finesse dans son petit doigt que les deux diots réunis, ramassa l’argent, et, pensant que la gendarmerie viendrait savoir ce qu’était devenu le bonhomme, elle le tira du puits et y jeta un vieux bouc qui venait de crever.

Les petits-enfants du vieux bonhomme ne le voyant pas revenir, s’informèrent de lui de tous côtés, et ils dirent aux deux diots :

— Vous n’avez pas vu notre grand-père ?

— Si, il était à relever un talus.

— Ne l’avez-vous pas vu depuis ?

— Si, nous l’avons tué pour lui prendre un trésor qu’il avait dans la tête ; mais il n’avait rien, le vieil avare, et nous l’avons jeté dans notre puits.

Les petits-enfants du bonhomme vinrent avec les gendarmes à la maison de la cousine, et demandèrent aux deux diots de leur montrer le puits.

— Le voilà, répondirent-ils.

— Maintenant, dirent les gendarmes, il faut que l’un de vous descende dedans pour tirer le pauvre bonhomme.

On attacha un des diots avec une corde, et quand il fut descendu, il s’écria :

— Votre grand-père avait-il de la barbe ?

— Oui.

— Avait-il des cornes ? — Non.

— Avait-il quatre pieds ? — Non.

— Finissons-en, dirent les gendarmes, et remontez le cadavre.

Le diot remonta avec le vieux bouc, et la cousine, qui était là, se mit à dire :

— Vous voyez bien, messieurs qu’ils sont fous tous les deux.

Les gendarmes menèrent les deux diots aux Bas-Foins[1], et la cousine garda la bourse du recteur et le trésor que le vieux saint avait dans la tête.


(Conté en 1880 par François Marquer, de St-Cast, mousse, âgé de 13 ans).
  1. Établissement d’aliénés situé près de Dinan, au lieu dit les Bas-Foins.