Aller au contenu

Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 41

La bibliothèque libre.
Ernest Leroux (p. 233-236).

LES TROIS MALLES[1]


Une femme jolie était recherchée par un roi : le général du roi la recherchait aussi : un forgeron aussi. Elle ne voulait pas se décider. Un joli garçon vivait au village : il était pauvre : c’était lui que la femme aimait. Le roi le met en prison. La femme vient chez le roi, et demande qu’on relâche son amoureux. Le roi dit : « Tu sais bien que je t’aime : si tu veux coucher avec moi, je te rendrai ton amoureux ». La femme accepte et lui dit : « Il faut que tu viennes chez moi. » Le roi dit : « J’écrirai demain au chef de la prison et je ferai mettre ton ami en liberté ; à quelle heure puis-je venir chez toi ? ». « À sept heures du soir », dit la femme. La femme va chez le général : « Je viens te demander de faire délivrer mon ami. » Il répond : « Si tu veux coucher avec moi, je le ferai délivrer ». « Bien, dit la femme. Viens à huit heures du soir. » Elle va chez le forgeron, et lui dit : « Je veux que tu me fabriques trois malles». « Oui, dit le forgeron, si tu couches avec moi ». « Bien, dit la femme. Apporte les à quatre heures, et viens le soir à neuf heures. »

Le forgeron fait les trois malles. À sept heures arrive le roi déguisé pour qu’on ne le reconnaisse pas. Il apporte une lettre portant son cachet et la donne à la femme pour faire sortir de prison l’ami de la femme. Elle prend le papier, le garde, et dit au roi : « Couche ici jusqu’à demain ».

Le général vient à huit heures, il salue, devant la porte le roi dit : « Qui est là ? ». La femme dit « C’est le général ». « Dis-lui de se retirer », dit le roi. « Je ne peux pas le renvoyer.», dit la femme. « N’y a-t-il pas un endroit où me cacher ? », dit le roi « Non, dit la femme, mais si tu veux te mettre dans une malle, il ne te verra pas ». Il se met dedans, elle ferme et fait entrer le général. Celui-ci se repose. Mais le forgeron arrive et salue devant la porte. Le général dit : « Qui est-ce ? ». « Le forgeron », dit la femme. « Défends-lui d’entrer », dit le général. « Je ne peux pas, dit la femme ». « Ne puis-je me cacher quelque part ? », dit le général. « Mets-toi dans cette malle », dit la femme. Il s’y met et elle l’enferme. Le forgeron rentre et cause avec la femme.

Elle lui dit « Tu m’as fait des malles trop petites : on ne peut y faire coucher un homme ». « Si, dit le forgeron, on peut y coucher, vois plutôt ». Il se met dans la malle elle ferme le couvercle, met les trois malles l’une sur l’autre, le roi en bas, et s’en va coucher dans une autre maison.

Le lendemain elle va à la prison et fait sortir son bon ami : elle lui dit : « Quittons cette ville, car j’ai enfermé le roi, le général et le forgeron dans des malles ». Ils se sauvent.

Personne ne voit le roi, le général, ni le forgeron. Tout est sans dessus-dessous en ville : la foule s’amasse devant la porte du roi. Les femmes disent aux curieux : « Depuis hier soir le roi n’a pas couché ici ». La foule va chez le général, on fait la même réponse. De même chez le forgeron. Tous les soldats sont rassemblés et vont dans la ville, demandent si on a vu le roi. Les soldats arrivent devant la maison où la femme avait enfermé le roi, on brise la porte, et on trouve le roi qui sanglotait dans la malle. Le forgeron, qui était à moitié mort, urine dans sa malle, et cela tombe sur le général qui en fait autant ; le tout tombe sur le roi.

Les soldats ouvrent les malles, et délivrent les prisonniers. Le général envoie quelqu’un chez lui pour qu’on lui apporte d’autres vêtements : il s’habille : le roi lui ordonne de se rendre au palais et de faire partir tous les gens qui étaient devant la route, puis d’y faire prendre des habits et de les lui apporter. Il envoie 20 hommes chercher la femme : mais ils ne la trouvent pas. Le roi n’a jamais plus cherché à coucher avec les femmes.



  1. Tiré de Haïatou Haïaouan.