Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 6

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Ernest Leroux (p. 81-84).


LE CHASSEUR, LE CROCODILE ET LE LIÈVRE[1]


Pendant l’inondation un crocodile s’était beaucoup éloigné du fleuve. Il avait été si loin dans la brousse qu’il ne peut plus retrouver l’eau et qu’il n’avait rien à boire ni à manger. Il maigrit considérablement.

Un chasseur qui cherchait des biches le rencontre et lui dit : « Que fais-tu là ? ». Le crocodile raconte son histoire et le chasseur lui dit : « Si tu me promets de ne pas me faire de mal, je te ramènerai au fleuve ». Le crocodile promet, le chasseur l’attache avec des cordes, le met sur sa tête et le porte au bord du fleuve.

Le crocodile lui dit : « Puisque tu as tant fait que de venir jusqu’ici tu peux bien entrer dans l’eau ». Le chasseur, portant le crocodile, y entre jusqu’au genou. « Pour me faire plaisir, va plus loin », lui dit celui-ci. Il va jusqu’à ce qu’il ait de l’eau jusqu’à la poitrine. Le crocodile le prie de nouveau et le chasseur marche jusqu’à ce qu’il ait de l’eau jusqu’au cou, défait les cordes et met le crocodile à l’eau en lui disant : « Maintenant tu peux t’en aller ».

Le crocodile répond : « Moi je ne peux te laisser aller : il faut que je te mange ». « Est-ce là ma récompense pour t’avoir porté de si loin et t’avoir sauvé la vie » ? dit le chasseur. « Je ne te mangerai pas avant d’avoir trouvé quelqu’un qui fasse la justice entre nous », répond le crocodile.

Arrive un cheval pour boire. Le crocodile lui dit : « Ne bois pas avant d’avoir servi d’arbitre entre nous ». Il lui explique l’affaire.

Le cheval répond : « Tu dois le manger, car l’homme est méchant. Depuis que je suis petit, on me monte, on me fait travailler, on voyage sur mon dos, on me maltraite : maintenant que je suis vieux on ne me donne plus rien à manger ».

Le crocodile dit : « Voyons un second juge ».

C’est une vache qui dit, une fois qu’on lui a expliqué l’affaire : « Mange cet homme ! On me trait, on boit mon lait, on me délaisse parce que je suis vieille ». « Attendons le troisième juge », dit le crocodile. Le bourriquot arrive et dit : « Mange vite cet homme ! On m’a toujours fait travailler, en me maltraitant, et en me nourrissant mal : maintenant on m’abandonne parce que je suis vieux ! »

Enfin arrive un lièvre : pris comme juge il dit au crocodile : « Comment un homme a-t-il pu te porter ici, toi qui es si gros ? » « C’est pourtant lui », dit-il. « Comment a-t-il pu faire ? » dit le lièvre. « En me liant avec des cordes et en me portant sur sa tête ». Le lièvre dit au chasseur d’aller chercher des cordes et de lui montrer comment il a attaché le caïman. Quand une fois c’est fait, le chasseur le charge sur sa tête et l’emporte à l’endroit où il l’avait trouvé.

Le lièvre lui dit : « Manges-tu du crocodile ? ». « Oui », répond le chasseur. « Eh bien, mange celui-ci, puisqu’il a voulu te faire du mal ».

Le chasseur l’emporte, le lièvre suit : Arrivé dans son village, on dit au chasseur que sa fille est très malade et que le seul remède est du poil de lièvre. « Justement, j’ai là un lièvre », dit-il, et il sort avec des chiens pour le prendre. Mais le lièvre qui l’a vu venir s’écrie : « Est-ce là ma récompense de t’avoir délivré du crocodile ». Et il s’enfuit.



  1. Landeroin a donné une autre version de ce conte, d’origine haoussa : cf. Documents scientifiques de la Mission Tilho.