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Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 5

La bibliothèque libre.
Ernest Leroux (p. 73-80).


LA CUISSE DE POULET


Un homme avait un fils appelé Sara et était très malheureux : ce fils âgé de quinze ans, trouve une aiguille dans la rue du village : il la porte à sa mère en disant : « Vois, j’ai trouvé une aiguille ». Il avait sept grands frères. Il dit au père : « Je vais changer mon aiguille pour un poulet ». Il va dans le village en criant : « qui veut changer un poulet contre une aiguille ». La femme du chef du village ne pouvait pas coudre depuis trois jours faute d’aiguille[1]. Elle l’appelle et lui dit : « Une aiguille ne vaut pas un poulet ». « Je n’accepte pas moins », dit-il.

Elle lui donne le poulet, il le porte à son père. Les grands frères lui disent : « Comment, on t’a donné un poulet pour une aiguille ? » Il dit à son père : « Voilà ! fais cuire le poulet, mange-le, seulement garde-moi une cuisse, je la mangerai demain matin ». En se réveillant il réclame sa cuisse de poulet : le père la lui donne, et il lui dit : « Mon père avec cette cuisse de poulet cuit, je vais acheter un cheval ». Tout le monde rit et se moque de lui.

Il avait entendu qu’il y avait un roi, Mahandian, qui va passer avec son armée. Il va l’attendre sur la route et il criait : « Qui veut changer une cuisse de poulet cuit contre un cheval ? » Personne de l’armée ne l’écoute, un seul l’écoute, un homme monté sur un cheval blanc, qui demande à voir la jambe, la mange, et lui dit : « Maintenant tu n’auras pas de cheval ». Le petit réclame. L’homme coupe une branche pour le frapper et le bat : le petit pleure. L’homme éperonne son cheval et rejoint les autres cavaliers. Le petit lui court après jusqu’à l’étape. Le roi se reposait, il lui dit : « Mahandian, tu agis mal avec moi : tu as pris ma cuisse de poulet tu ne me l’as pas payée avec un cheval, comme je demandais et tu m’as battu ».

Les soldats du roi voulaient le chasser : le roi les empêche et dit : « Comment ai-je mangé ta cuisse de poulet ? je t’ai entendu crier, mais je n’y ai pas touché ! ». « Si tu veux, je te le dirai, dit le petit. C’est un de tes hommes qui l’a prise et m’a frappé. Et je réclame ! ». « Le reconnaitrais-tu, si tu le voyais ? », dit le roi. Il lui a donné trois soldats pour l’accompagner dans le camp, afin de retrouver l’homme. Il le retrouve, et on le mène devant le roi, avec son cheval blanc. Le roi lui dit : « Pourquoi as-tu fait cela ? » Il répond : « Parce que je croyais qu’il ne pourrait jamais me rejoindre ». « Eh bien, dit le roi, descends de ton cheval, tu feras la guerre à pied : ton cheval appartient au petit garçon Sara ».

Sara monte sur son cheval et vient retrouver son père, en lui disant : « Avec ma cuisse de poulet, j’ai acheté un cheval ». Les grands frères disent : « Quelle chance il a ! » Le père est content et lui dit : « Va attacher ton cheval ». Pendant huit jours, les sept grands frères montent à cheval. Au bout de huit jours, il dit à son père : « Je vais changer mon cheval contre un petit chat ». Les frères sont mécontents, mais le père dit : « Fais à ton idée, et que Dieu t’aide ! »

Il monte à cheval et va trouver une femme, Koumba, qui était avec son mari, Moussa. Elle avait sept chats. Son mari était dans la brousse. Il lui dit : « Veux-tu changer ce cheval contre les sept chats ? »

Pendant qu’il était à causer, un homme qui avait entendu dire de Sara qu’il avait un bon cheval, amène neuf captifs dans la maison du père et lui propose l’échange.

Les grands frères étaient d’avis de faire l’échange, mais le père dit : « Je le laisse libre de faire l’échange ». Le fils ainé va dire à Sara qu’un marché avantageux lui est offert. Sara demande : « Qu’a dit mon père ? » Le grand frère dit : « Notre père te laisse libre ». « Et toi, mon frère, que dis-tu ? » « Prends les esclaves ! » Sara dit : « Tu ne sais pas ce que je cherche : mon père seul le sait : je vais changer le cheval contre les chats ».

Koumba lui dit : « Jamais on n’a vu changer des chats contre un cheval ». « Qu’importe ; dit Sara, moi je veux ! » Elle lui donne les sept chats dans un panier : il les porte à son père, qui lui dit : « Ça va bien, garde tes chats ». Les grands frères sont mécontents.

Il se repose pendant huit jours, après lesquels il dit à son père : « Je vais porter mes chats dans un pays où je changerai chacun d’eux pour sept esclaves ». « Bien, dit le père que Dieu t’aide ».

Il part, marche vingt jours et arrive dans un autre pays et va trouver le roi Fimma, mais pendant la nuit les rats l’avaient mangé, car il y en avait beaucoup. Au matin il vient avec ses chats. Tout le monde s’écrie : « Quelle chance voici des chats ! » On tue un taureau en son honneur, et pendant trois jours il reste là, on lui demande combien il vend les chats : « Je veux sept esclaves pour chacun d’eux ». Les gens disent : « Ce n’est pas cher ! Nous les achetons tous ! » On lui donne quarante-neuf esclaves, qu’il emmène chez son père. « Voilà, mon père : Dieu m’a aidé : j’ai gagné sept esclaves par chat ». Tout le monde est content.

Il se repose trois mois et dit à son père : « Je vais changer mes esclaves contre un homme mort ». Le père dit : « Que Dieu t’aide ». Les frères sont furieux, car ils s’étaient fait servir par les esclaves. Il marche un mois, il arrive chez le roi Mahan Oulé ; en entrant dans le village il apprend qu’il était mort. Il loge chez Diali Moussa, griot du roi. On frappe le tabalé, tout le monde se rassemble. Sara dit à Diali Moussa : « Je veux changer tous mes esclaves contre un homme mort : demande au fils du roi de faire l’échange ». Le fils du roi accepte en disant : « Quand un homme est mort il n’est plus rien : c’est de la viande. On peut faire l’échange ».

Sara dit : « Avant de faire l’échange je veux qu’on fasse venir comme témoins quatre marabouts ». On les fait venir : il prend le mort et donne les captifs. Il prend le cadavre par un pied et le traîne jusqu’à la grande place. Il demande trois hommes pour garder le mort pendant qu’il s’absente un moment et dit : « Je donnerai à chacun un gros d’or quand je reviendrai ». Trois hommes musulmans acceptent. Il sort du village coupe beaucoup de baguettes, et les apporte sur la grande place.

Pendant ce temps les fils du roi viennent trouver les gardiens et leur demandent de laisser enterrer le roi pendant l’absence de Sara : « Quand il reviendra, on lui dira que le diable a enlevé le corps ».

Les gardiens refusent. Sara revient, leur donne à chacun un gros d’or, prend les baguettes et se met à frapper le cadavre, en lui disant : « Tu as mis beaucoup de gens aux fers, tu as fait battre beaucoup de gens : aujourd’hui c’est moi qui te frappe ». Il lui fait des reproches et l’insulte : il lui donne des coups de pied. Les fils du roi sont fâchés, et veulent s’opposer à ce qu’on frappe leur père. « Ce mort m’appartient, dit Sara, j’en fais ce que je veux ». Il frappe encore. Les fils veulent défaire la vente. Il refuse et dit : « Allons devant le Cadi ». Le Cadi après avoir entendu l’affaire fait venir les quatre Marabouts témoins, et dit : « Sara a raison. Vous êtes des imbéciles d’avoir vendu un cadavre contre quarante-neuf esclaves ». Il demande alors à Sara combien il veut vendre le cadavre. Celui-ci répond : « Il est à moi, si on le veut, je ferai mes conditions. Pour chacun de mes quarante-neuf esclaves, il me faut sept esclaves ». Les fils acceptent et les lui donnent. Il leur dit : « Permettez que je demeure près de vous ». Il fait un village à côté du leur. Une petite rivière était à côté : il entend une nuit parler un grand serpent qui s’appelait Samano : il va le trouver et ils causent. Le serpent lui dit : « Il y a de l’or à l’endroit où tu as fait ton village. Si tu me donnes sept taureaux je te montrerai l’endroit ». Sara lui donne sept taureaux. Pendant la nuit le serpent lui montre un endroit où il y avait des cailloux ronds et dit : « Là dedans, il y a un grand canari plein d’or ». Au matin Sara appelle les esclaves et leur fait creuser à l’endroit indiqué.

Il sort le canari et donne de l’or à tous les chefs d’esclaves. Il fait des libéralités à tout le monde. Enfin il réunit tout le monde et attaque le village du roi et le prend. Il devient roi du pays et envoie cent cinquante cavaliers chercher sa famille. Il dit à son père : « Je suis ton fils et tu seras roi de ce pays : mes frères auront de bonnes situations, et on verra que j’ai gagné un royaume avec une aiguille ».



  1. Détail surprenant, mais que je me suis fait confirmer. D’ordinaire les femmes Soudanaises ignorent la couture.