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Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 8

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Ernest Leroux (p. 99-110).


LA HYÈNE, LE LIÈVRE ET LA LIONNE[1]


La hyène, le chien, le bouc vont pêcher du poisson dans une mare et entrent dans l’eau. La hyène dit en voyant le chien et le bouc dans l’eau : « Que je trouve ou non du poisson, j’aurai à manger ». Le chien l’entend et dit au bouc : « Tu n’as pas entendu ce qu’à dit la hyène : ce qu’elle espère manger c’est nous ! » Le chien dit au bouc : « Casse les bâtons de ton filet ». Le bouc les casse, et la hyène demande : « Qui a cassé les bâtons ? » « Ce sont les poissons », dit le bouc. « Va vite en couper d’autres, et reviens pêcher » dit la hyène. Le chien dit au bouc : « Va-t-en vite jusqu’à la ville, car elle veut te manger : moi elle ne m’aura pas ». Le bouc se sauve.

Peu de temps après la hyène répète : « Même si je ne prends pas de poisson j’ai quelque chose pour manger ». Le chien dit : « Je veux aller chercher quelque chose pour manger, puisque tu as de quoi manger ». « Non, dit la hyène, il faut que je me rassasie avant toi ». « Je pars, » dit le chien. Et il se sauve. La hyène le poursuit pour le manger. Ils arrivent près du village où ils rencontrent le bouc. Le chien lui crie : « Que te disais-je, de te sauver ? Voilà la hyène qui va te manger ». La hyène dit au bouc : « Tu as voulu me tromper ». Elle lui donne un coup de patte : le bouc pleure et dit : Mée ! Elle poursuit le chien, jusqu’au village, mais il rentre dans sa maison. Le bouc court à la mare, prend de la boue, et s’en recouvre, seuls les yeux n’en avaient pas. La hyène arrive, a peur et dit : « Voilà mon grand frère qui est devenu roi : comment vas-tu ? » Le bouc : « Je viens de me promener. » La hyène : « Dis, mon grand frère, comment t’appelles-tu ? » Le bouc répond : « Je m’appelle Koba Maha : celui qui me regarde avec ses yeux meurt : celui qui m’entend parler meurt ». La hyène : « Mais si je ne te vois qu’une fois, aurais-je du mal ? » « Non dit le bouc, si c’est la dernière ». « Adieu mon grand frère Koba Maha », dit la hyène.

La hyène se sauve dans la forêt et se demande si ce ne serait pas le bouc. Elle va encore au-devant de lui et elle le rencontre. Elle dit : « Voilà mon grand frère ». Elle avait déjà peur. Elle lui dit : « bonjour comment t’appelles-tu ? ». « Kobamaha est mon nom : celui qui me voit ou m’entend, meurt ! » La hyène s’en va. Pour la troisième fois, elle va rencontrer le bouc : mais la boue avait séchée. « Voilà mon grand frère, dit-elle : bonjour, d’où viens-tu : » « Je viens de me promener, » dit-il. « Comment t’appelles-tu ? » dit la hyène. Le bouc répond : « Toi, la hyène, tu m’ennuies à la fin : voilà la troisième fois que tu me rencontres : les deux premières je ne t’ai rien fait, mais cette fois-ci, tu vas voir ». « Mais, dit la hyène, je t’ai suivi, j’ai trouvé des petits morceaux de boue que tu as perdus, sur lesquels sont restés des poils qui ressemblent à ceux de mon bouc ». « Quoi, tu penses que je suis un bouc, dit le bouc. À présent tu vas voir la force de mon gri-gri ». La hyène dit : « Quoi tu as des gri-gri ? Moi je ne pense pas que tu es Kobamaha, mais un bouc ». Elle s’approche de lui, le bouc a peur et s’écrie : Mée ! La hyène lui saute dessus et lui dit : « Voilà comment tu m’as trompé ! tu veux que je te prenne pour un animal terrible et tu n’es qu’un bouc. Pourquoi as-tu fait cela ? ». « Parce que j’avais peur, » répond le bouc.

Arrive un lièvre : la hyène dit : « Voilà mon petit frère. Je veux te donner une giffle : Comment, nous avons même père et même mère : je gagne ce bouc pour que nous le mangions ensemble et tu te caches de moi ? Je veux le manger dans un endroit où il n’y a pas de mouches ». Le lièvre dit « Allons-y ». La hyène attache le bouc par le cou avec une corde et l’emmène : le lièvre suit. Ils arrivent à une forêt : la hyène dit : « Voyons si dans cette forêt il n’y a pas de mouches ». Elle pète trois fois. Les mouches viennent. Elle dit : « Allons plus loin ». Dans une deuxième forêt, elle fait la même chose. Dans une troisième forêt, la lionne était couchée avec ses quatre fils. La hyène qui ne l’avait pas vue dit : « Voilà un bon endroit pour manger le bouc ». La lionne entend, lève la tête et rugit : La hyène dit à la lionne : « J’ai le même père et la même mère que toi : depuis un mois je te cherche pour te donner ce bouc, parce que j’ai entendu que tu avais mis bas quatre petits. « Merci, dit la lionne. Reste-là : malheureusement mes quatre fils sont malades. » La hyène dit : « Explique au lièvre ce qu’ils ont, car il est très malin ». Le lièvre dit : « Dis-le plutôt au bouc, car il vit avec les hommes et ils connaissent beaucoup de remèdes ». « Tu as raison, dit la hyène, parce que le bouc a beaucoup de gri-gri ». Le bouc dit : « Apportez un peu de terre sèche. » Quand elle est là, il fait la bonne aventure avec les doigts, puis il efface tout. La hyène s’écrie : « Mais dis-nous donc ce que tu as vu ! » Le bouc dit : « C’est que la chose peut guérir mais elle est très difficile à trouver ». « Dis tout de même », dit la hyène. Le bouc : « Une vieille peau de hyène suffit pour guérir les quatre lionceaux ». La hyène dit : « Mais une peau fraiche de hyène peut-elle faire l’affaire ? ». « Certainement » dit le bouc. « Eh bien ! va chercher un couteau et coupe un morceau de la mienne ».

Le lièvre dit : « J’ai sur moi un grand couteau ». Il le donne au bouc qui dit : « Il faudrait aussi un peu de chair avec la peau ». « Coupe ce qu’il faudra, dit la hyène, pourvu que mes neveux soient guéris ». Le bouc coupe un morceau. « Doucement », dit la hyène. « Coupe hardiment » , dit la lionne.

Le morceau coupé, le bouc le donne au lièvre qui le fait griller au feu : le bouc le coupe en morceau, le mélange de sel et de poivre (qu’il avait emportés avec lui à la mare pour manger avec le poisson), et le donne aux lionceaux. Ceux-ci y prennent goût et se mettent à dire à leur mère : « Miaou ! Donne-nous de la peau de hyène ! » La hyène dit : « Coupe-moi encore un morceau pour donner à mes neveux ». Le bouc coupe encore un bon morceau. « Doucement ! » dit la hyène. Il fait griller le morceau, y met du sel et du poivre, et le donne aux lionceaux, qui en réclament davantage. En tout, il coupe huit morceaux. La hyène avait bien mal et dit : « Maintenant tuons le bouc et mangeons-le ».

La lionne dit : « Non ! on ne tuera pas le bouc, qui a guéri mes enfants ! Je vais le reconduire jusqu’au village ». La hyène : « Je vais l’accompagner ». « Non, dit le bouc, je ne veux pas que la hyène m’accompagne, parce que je lui ai coupe la peau ». La lionne dit : « Le lièvre l’accompagnera ».

Le lièvre va avec lui jusqu’au village, et le bouc lui donne le petit sac où il avait le sel et le poivre. Le lièvre retourne vers la lionne et celle-ci lui dit : « Tu as accompagné le bouc jusque chez lui ? ». « Oui, » dit le lièvre. « Alors, attends-moi ici, je vais chercher une antilope. Garde mes enfants avec la hyène ».

Elle part : la hyène dit : « Regarde comment ils m’ont arrangé ! » Le lièvre dit : « Mais c’est toi qui l’as voulu ». La hyène : « C’est le bouc qui me l’a fait ! » Le lièvre : « Mais c’est toi qui a voulu venir dans un endroit sans mouches ». La hyène dit : « Prenons les lionceaux et sauvons-nous avec ». « Oui », dit le lièvre.

La hyène prend deux lionceaux, le lièvre deux, et ils s’en vont. Il était de bon matin. La lionne tue une antilope et revient à deux heures au logis. Elle ne trouve personne : elle est furieuse, et cherche la trace des fugitifs : la hyène et le lièvre avaient mis les petits lions dans leurs peaux de bouc.

À deux heures, ils s’arrêtent sous un baobab, sur lequel était l’oiseau appelé douga (vautour). Le lièvre prend deux fruits de baobab et en casse un : la hyène l’entend et dit « Comment ? tu casses la tête d’un lionceau ? » « Oui », dit le lièvre. « Eh bien ! j’en fais autant ! » dit la hyène, et elle casse la tête à un lionceau. Alors le lièvre casse une autre boule de baobab et la hyène casse la tête de l’autre lionceau. La hyène met les deux petits morts dans la peau de bouc. Ils cherchent un arbre donnant un bel ombrage.

À ce moment la lionne qui les cherchait arrive sous le baobab. Le vautour dit : « Que cherches-tu ? ». « La hyène avec le lièvre », dit la lionne. « Sous cet arbre là-bas, tu les trouveras », dit le vautour.

La lionne va sous l’arbre et rugit : la hyène lui dit : « Nous te cherchons partout depuis ton départ, parce que tes petits crient tout le temps ». « Donne-les moi, que je leur donne à boire », dit la lionne. Le lièvre sort les deux vivants. La hyène ouvre sa peau de bouc, y met la main, la retire vivement en s’écriant : « Ne me mordez pas, méchants ». Elle fait cela trois fois de suite. Le lièvre et la lionne viennent. À la fin, la lionne attrape la peau de bouc et dit : « Donne-moi, mes enfants » : elle vide la peau pour les faire sortir. La hyène se cache dans un trou de fourmilier.

La lionne voit alors un sanglier, qui a grand peur : elle l’appelle et lui dit : « Tu vas travailler ; ouvre-moi ce trou, pour que je retrouve la hyène qui a tué mes enfants ». Le sanglier fouille la terre, que le lièvre l’enlève.

Le lièvre aurait voulu faire sauver la hyène. Il entre dans le trou en disant : « Je vais voir où va le trou ». Une fois descendu il dit à la hyène : « Tends la main ». Il lui donne un peu de sel et poivre. « Quand viendra le sanglier, avant de travailler il regardera dans le trou, et tu n’as qu’à lui jeter cela dans les yeux ». La hyène dit : « Je veux goûter d’abord : elle trouve le sel et le poivre très bons et dit : imbécile ! tu veux que je jette quelque chose d’aussi bon dans les yeux du sanglier ! » et elle mange le tout. Trois fois le lièvre lui apporte du poivre et du sel en lui demandant : « Pourquoi ne le lances-tu pas dans les yeux du sanglier ? ». « C’est que j’ai goûté cela, et c’est trop bon ». « Écoute, dit le lièvre, le sanglier est déjà tout près de toi, et tu vas être prise. Jette ce qui me reste dans les yeux du sanglier ». Quand celui-ci approche, la hyène lui lance dans les yeux le sel et le poivre.

Le sanglier sort et dit au lièvre : « Mon petit frère, souffle-moi dans les yeux, pour enlever ce qui me pique ». Le lièvre répond : « Mon souffle n’est pas assez fort, va trouver la lionne ». Celle-ci souffle dans les yeux du sanglier le sel et le poivre sautent dans la bouche de la lionne, qui dit au sanglier : « Tes yeux ont très bon goût. Viens, que je souffle encore ». Alors elle lui arrache un œil et le mange ; le sanglier se sauve : elle lui court après. Le lièvre fait sortir la hyène : elle voulait prendre encore deux des petits pour les manger, mais le lièvre dit : « Ne les prends pas, sans quoi la lionne nous rattrapera ». Le lièvre prend une branche d’arbre et balaye avec la route qu’ils avaient prise pour dépister la lionne. Ils se sont sauvés et la lionne ne les a pas atteints.


LA HYÈNE ET LE DOLO


Tous les animaux de la brousse se sont concertés une fois afin de réunir une grande quantité de mil pour en faire du dolo[2]. Le mil apporté, la hyène commence à le peser. À peine avait-elle pesé quelques mesures qu’elle voit une biche, la poursuit et la mange. Quand les autres animaux arrivent, ils lui demandent : « Pourquoi as-tu tué la biche ? ». « Parce que le mil m’a enivré et que je ne savais plus ce que je faisais ». Alors les animaux lui disent : « Laisse le mil tranquille : tu es déjà ivre et le mil n’est seulement pas trempé dans l’eau ? Quand le dolo sera fait, toutes les bêtes de la brousse seront ivres ».

  1. Raconté par Kandé Konaté, griot Kassonké.
  2. Bière de mil.