Contes du lit-clos/La Noël du Mousse

La bibliothèque libre.
Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 113-118).


LA NOËL DU MOUSSE




À bord de la fière Corvette
Où l’on fête le réveillon,
Sur le pont, près de la dunette,
On a monté le moussaillon.

On est dans la terrible zone
Des mers de Chine, et le gamin
Qui s’en va de la fièvre jaune
Ne doit pas voir le lendemain.

Il a neuf ans… dix ans à peine…
Qui sait ? — bien des soleils ont lui
Et personne n’a pris la peine
D’en compter le nombre pour lui :

On l’a recueilli sur la plage,
Un matin qu’il ventait bien fort ;
Et l’orphelin, en prenant l’âge,
Est devenu « l’enfant du Port ».

Quand il fut assez fort : « Embarque ! »
Dirent les marins au moutard
Qui manœuvrait déjà sa barque
De Saint-Malo jusqu’à Dinard.

Si bien que, sur la mer profonde
Naviguant en toute saison,
Il avait fait son tour du Monde
Bien avant l’âge de raison…

Et, maintenant, le petit homme,
Parmi les chants des matelots,
S’endormait de ce dernier somme
Que l’on achève sous les flots !


L’aumônier du bord, un vieux prêtre
Qui tout bambin l’avait connu,
S’avançant auprès du pauvre être
Tendrement baisa son front nu.

À cette caresse si douce,
S’efforçant d’entr’ouvrir les yeux,
Pierre, le brave petit mousse,
Bégaya tout bas : « Je vais mieux…

« Pendant la fin de la campagne
« Le bon Docteur me guérira.
« Arriverons-nous en Bretagne
« Pour quand la Noël reviendra ? »

— « Durant ta longue maladie,
« Mon pauvre enfant le temps a fui :
« Voici venir l’Heure bénie,
« Jésus descendra cette nuit. »

— « Les enfants, comme chaque année,
« Auront les présents les plus beaux :
« Moi, je n’ai pas de cheminée,
« Je n’ai pas même de sabots !

« Les petits gâs de nos villages
« N’ont guère besoin de jouets :
« C’est si joli les coquillages,
« Les tas de sable et les galets !

« Aussi, pour vivre bien à l’aise,
« Je ne demande au bon Jésus
« Qu’une maison sur la falaise
« D’où l’on ne me chasserait plus.

« Puis, enfin, comme tout le monde,
« Ne pourrais-je donc pas avoir
« Une maman, qui parfois gronde,
« Mais qui vous embrasse le soir ? »

Et, souriant à ce doux rêve,
L’enfant s’endormit doucement :
Le mal un instant faisait trêve
Pour le prendre plus sûrement !


A l’heure où Noël vient sur terre
Le petit mousse trépassa,
Et, dans la nuit du grand Mystère,
Ses vœux Jésus les exauça :

Lui, qui voulait une chaumière,
Il eut les Palais du Ciel bleu ;
Et, pour maman, le petit Pierre
Eut la Maman de l’Enfant-Dieu.




Cette poésie est éditée chez Bricon, Paris.