Contes du soleil et de la pluie/67

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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

LE MIRACLE DE NOËL

Séparateur

La serrure sauta. L’homme s’introduisit dans la remise. À tâtons, il s’assura que la voiturette était à sa place. Il en alluma les lanternes, établit le contact, vérifia la mise en marche, puis, certain que tout allait bien, il sortit l’automobile dans la cour.

Au moment de partir, il jeta un regard du côté du jardin. Aucune lumière n’éclairait la vaste maison. Il se dit :

— Y a pas d’erreur… ils sont tous à l’église… même que j’y ai vu la cuisinière et les larbins… Alors, quoi ?… une petite visite par là…

Il traversa le jardin et monta les degrés du perron. À l’aide de fausses clefs, il n’eut pas de mal à forcer la porte. À droite du vestibule — il le savait, ayant servi l’an dernier comme mécanicien — à droite s’ouvraient les salons ; à gauche, la salle à manger, le billard et deux chambres. Il hésita, puis il prit à gauche, se souvenant d’un secrétaire situé de ce côté…

Il fut très étonné de trouver dans la dernière chambre une lampe allumée. Pourtant il n’y avait personne. En hâte, il fractura le secrétaire et, pour simplifier la besogne, vida rapidement les tiroirs sur le lit, se réservant d’en trier le contenu.

À ce moment, quelqu’un entra, une bonne. Voyant l’homme, elle poussa un cri d’épouvante et s’évanouit.

Vivement il empoigna la pendule et les chandeliers et les jeta sur le lit, ainsi qu’une coupe d’argent, un coffret ancien et deux vases. En un tour de main, il rabattit les draps sur les objets entassés, noua solidement les quatre bouts, chargea le paquet sur son, épaule, quitta la maison, rejoignit la voiture, la mit en mouvement, et bientôt vira sur la grande route.

La cloche de l’église retentit. Il évita la rue principale et gagna les bords de la Seine. Il les suivit jusqu’au pont d’Asnières, La rue de Villiers le conduisit près des fortifications. Il demeurait par là, dans l’une de ces petites baraques qui avoisinent la Porte des Ternes.

Son intention était de déposer d’abord son chargement chez lui, puis de se rendre avenue de Neuilly, où plusieurs de ses camarades, associés, tenaient un garage auquel il avait déjà fourni personnellement quelques automobiles achetées au même prix. On les maquillait. Le commerce était lucratif.

Sa baraque se trouvait à l’écart et non dénuée de tout confortable. Il s’y enferma, désireux de considérer son butin. D’un œil satisfait, avec la fierté légitime que provoque la réussite de toute entreprise, il en fit l’inventaire.

Les jolis flambeaux d’abord apparurent, en argent sans aucun doute, puis la pendule mignonne, émaillée, ornée de pierreries, puis le coffret à incrustations luxueuses.

Mais, soudain, ses yeux se dressèrent, un hurlement s’étrangla dans sa gorge. Là, là, devant lui, quelque chose remuait. C’était une grosse couverture piquée, emportée par mégarde avec les draps. Elle remuait ! Se dominant, du bout des doigts, il eut le courage de la déployer. Certitude horrible : en elle une chose s’agitait.

Et, en effet, l’ayant entièrement déroulée, il aperçut un petit enfant…

…Un petit enfant en chemise, dont les grosses jambes à bourrelets de graisse se démenaient en l’air, un petit enfant vivant.

Il n’y comprenait rien. Certes, la vérité s’imposait à lui : dans son trouble, il n’avait pas remarqué la présence du petit sur le lit, parmi les couvertures, et, pressé par le retour de la bonne, la nourrice probablement, il avait emporté l’enfant au milieu des objets dérobés.

Mais, cette vérité, sa conscience ne l’acceptait pas. Cela lui semblait bien plutôt un miracle… Oui, un miracle déconcertant. Comment ce morceau d’être n’avait-il pas été asphyxié dans la prison des draps et des étoffes ? Comment le choc des objets ne l’avait-il pas tué, ou du moins meurtri ?

Durant des minutes, il le contempla stupidement. Puis ses mains se résignèrent à le prendre. Il le palpa, le caressa avec une crainte respectueuse. La chair rose était intacte. L’enfant semblait simplement s’éveiller. Quel prodige !

Il l’assit et l’étendit sur ses genoux. Le menu corps se détira en mouvements gracieux, la bouche indécise s’ouvrit en un long bâillement, et les yeux clignotèrent gênés par la clarté de la bougie.

À voix basse, mystérieusement, l’homme murmura :

— Qui donc es-tu ?

Une riposte, faite en termes précis, ne l’eût pas étonné. Qui était-ce, cet étranger qui pénétrait dans sa vie de façon si inattendue ?

L’enfant, au bout d’un instant, se mit à crier. « Il a froid, peut-être ! » se dit l’individu. Il l’enveloppa de couvertures, mais, comme les cris continuaient, provoqués vraisemblablement par la faim, il fut très embarrassé, car il n’avait nul aliment à lui offrir. Alors il le berça doucement et il lui chantait de monotones chansons, et le petit s’endormit.

Et des idées bizarres émurent le cerveau de l’homme. De l’abîme de son passé surgit la vision d’heures semblables, où sa mère le dorlotait en une triste mansarde. Elle avait une voix brisée dont les notes somnolentes lui tintaient encore à l’oreille. Et elle lui parlait d’un petit enfant qui, certains jours, rend visite aux petits enfants et leur apporte des jouets, des cadeaux, des surprises. C’est l’enfant Noël. L’enfant Noël ! Quel souvenir ! Il court sur les toits, il entre par les cheminées, il cherche les sabots.

La vision de l’homme se précisa. L’enfant Noël venait jusqu’à lui, montait sur ses genoux et s’y installait. Il l’avait là, sous les yeux, sous la main.

Les pensées devenaient confuses en son cerveau surexcité. La certitude du miracle grandissait. L’enfant volé, l’enfant divin, cela ne faisait qu’un. Et une grande honte l’envahit du butin qui s’étalait au milieu de la chambre.

Le petit cria de nouveau. Il devait avoir très faim et très froid. L’homme réfléchit à peine. Il se leva…

Sous le ciel bas et lourd de neige le même paquet écrasant son dos, il traversa le jardin désert, après avoir remisé l’automobile. Mais avec quelle précaution, cette fois, avec quel respect, il tenait sur son bras gauche, chaudement enveloppé, l’enfant Noël !

La porte de la maison n’était pas fermée. Tout de suite il perçut du bruit, l’agitation de gens terrifiés. Pourtant il n’hésita point.

Il franchit le vestibule sans rencontrer personne. À la porte de la chambre, ayant jeté le paquet, il frappa.

— Entrez !

Il entra. Le père et la mère étaient là, seuls. La mère pleurait. Il dit :

— Voilà l’enfant, voilà tout…

Deux cris de joie lui répondirent. D’un bond la mère s’élança et lui arracha le petit. Et le père cherchait sa part de caresses, à genoux devant sa femme et son enfant.

Et l’on ne s’occupait pas de l’homme. Il voulut s’en aller. Il ne le put. Quelque chose le retenait, un charme inexplicable.

Un timbre retentit. Le domestique vint annoncer :

— C’est le commissaire de police.

— Une seconde, dit le père.

Il s’approcha de l’homme et le reconnut :

— Ah ! c’est vous ! Pourquoi rapportez-vous l’enfant et tous ces objets ?

— Je ne sais pas… ou plutôt oui, je sais… voyez-vous…

Il tâcha d’expliquer. Il raconta les choses, son étonnement…

Le père réfléchit et dit :

— Pas un mot… Je vais vous cacher.

Il le dissimula derrière des tentures.

Et l’homme ne fut nullement surpris de cette miséricorde. Car, en vérité, tout cela n’était que miracle, prodige de Noël, fantaisie mystérieuse de l’enfant divin qui court sur les toits, se glisse par les cheminées et se blottit dans les couvertures, parmi l’entassement des pendules et des candélabres volés.

Maurice LEBLANC.