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Contes en vers (Voltaire)/L’Origine des métiers

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 48-49).
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L’ORIGINE DES MÉTIERS[1]


Quand Prométhée eut formé son image
D’un marbre blanc façonné par ses mains,
Il épousa, comme on sait, son ouvrage :
Pandore fut la mère des humains.
Dès qu’elle put se voir et se connaître,
Elle essaya son sourire enchanteur,
Son doux parler, son maintien séducteur,
Parut aimer, et captiva son maître ;
Et Prométhée, à lui plaire occupé,
Premier époux, fut le premier trompé.
Mars visita cette beauté nouvelle ;
L’éclat du dieu, son air mâle et guerrier,
Son casque d’or, son large bouclier,
Tout le servit, et Mars triompha d’elle.
Le dieu des mers, en son humide cour,
Ayant appris cette bonne fortune,
Chercha la belle, et lui parla d’amour :
Qui cède à Mars peut se rendre à Neptune.
Le blond Phébus, de son brillant séjour,
Vit leurs plaisirs, eut la même espérance ;
Elle ne put faire de résistance
Au dieu des vers, des beaux-arts et du jour.
Mercure était le dieu de l’éloquence :
Il sut parler, il eut aussi son tour.
Vulcain, sortant de sa forge embrasée,
Déplut d’abord, et fut très maltraité ;
Mais il obtint par importunité
Cette conquête aux autres dieux aisée.

Ainsi Pandore occupa ses beaux ans,
Puis s’ennuya sans en savoir la cause.
Quand une femme aima dans son printemps,
Elle ne peut jamais faire autre chose ;
Mais, pour les dieux, ils n’aiment pas longtemps.
Elle avait eu pour eux des complaisances :
Ils la quittaient ; elle vit dans les champs
Un gros satyre, et lui fit les avances.
Nous sommes nés de tous ces passe-temps ;
C’est des humains l’origine première :
Voilà pourquoi nos esprits, nos talents,
Nos passions, nos emplois, tout diffère.
L’un eut Vulcain, l’autre, Mars pour son père,
L’autre, un satyre ; et bien peu d’entre nous
Sont descendus du dieu de la lumière.
De nos parents nous tenons tous nos goûts.
Mais le métier de la belle Pandore,
Quoique peu rare, est encor le plus doux ;
Et c’est celui que tout Paris honore.[2]



  1. Ce conte circulait aussi manuscrit en avril 1764. (B.)
  2. C’est ici que finissaient les Contes de Guillaume Vadé : ceux qui suivent leur sont de beaucoup postérieurs.