Contes et légendes annamites/Légendes/001 Histoire de deux lauréats
I
HISTOIRE DE DEUX LAURÉATS.
Au temps du roi Hông dûc, de la dynastie Lè, vivait au tram[1] de Than dan, huyên de Ky amh, province de Nghê an, deux frères qui appartenaient à la famille Nguyên. Cette famille était très pauvre ; les parents coupaient du bois dans la forêt et gagnaient, à grand-peine, trois tién par jour pour entretenir leurs enfants à l’école. Tout le monde dans le village méprisait ces gens à cause de leur pauvreté, et, pour peu qu’ils commissent quelque faute, ils étaient sévèrement punis. Devenus grands, les enfants se présentèrent aux examens et furent reçus tous deux en même temps avec le titre de Trang nguyên. Le roi fut rempli de joie et leur permit de retourner dans leur pays pour sacrifier à leurs ancêtres. Ils étaient escortés par une troupe de soldats avec des chevaux, des éléphants ; partout sur leur passage les autorités provinciales venaient à leur rencontre ou les accompagnaient. Dans leur village, ceux qui les avaient méprisés durent les accueillir avec pompe ; le phù et le huyèn y étaient venus pour diriger les réjouissances ; on les traita pendant trois ou quatre jours. Quand toutes ces fêtes furent finies, la mère des deux Trang nguyên se mit à réfléchir et à se dire : « Quand nous étions pauvres, nous ne nous connaissions pas de parents ; ce n’était qu’après avoir coupé et vendu notre bois que nous avions de quoi manger, et sans cela nous aurions pu mourir de faim ; la nuit on nous faisait monter la garde[2] et, si nous y manquions, nous étions battus ; nous avons eu dans notre vie beaucoup de misère ; maintenant que nos fils ont passé leurs examens, tout le monde vient nous faire bonne figure. Certes, ce monde est plein de méchants. Il me faut dire à nos enfants que, pour ceux de ces gens qui, par le passé, se sont bien conduits avec nous, passe, mais ceux qui nous ont fait du mal, il faut qu’ils pensent à nous venger d’eux et à les rendre misérables. Qu’ils cherchent un moyen de les faire périr et je serai satisfaite. »
Or, il faut savoir que ces deux Trang nguyên étaient des génies que le Ciel avait envoyés dans cette famille parce qu’elle était vertueuse. À peine la mère eut-elle dit ces paroles, que tous ses mérites furent anéantis. Un esprit qui passait par là[3] alla au palais de l’Empereur céleste rapporter ce qu’il avait entendu. L’Empereur céleste rappela les deux génies, et les deux Trang nguyên moururent. Mais, avant leur mort, l’esprit errant apparut en rêve à leur mère et lui apprit pour quelle faute elle était punie. L’on a élevé une chapelle à ces deux Trang nguyên au tram de Thân dâu, et ils ont manifesté leur puissance par de nombreux prodiges.
- ↑ Station postale.
- ↑ Les villages sont, comme on le sait, responsables de la police de leur territoire et, à cet effet, doivent installer pendant la nuit des postes de veille dans les marchés, les maisons communes, sur les arroyos, aux carrefours, etc. Le choix des hommes de veille étant laissé aux autorités communales, ces corvées tombent naturellement tout entières sur les pauvres.
- ↑ Du thân, génie errant qui surveille tout ce qui passe dans le monde.