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Contes et légendes annamites/Légendes/044 Les ruses du lièvre

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 115-117).


XLIV

LES RUSES DU LIÈVRE[1].



Le lièvre, le tigre et la poule avaient fait société ensemble. Un jour, le lièvre et le tigre allèrent couper du tranh[2], le lièvre dit à la poule de rester à la maison et de leur préparer à manger. La poule prit un pot d’eau bouillante, se percha sur le bord et, en chantant, y laissa tomber un œuf qui fut ainsi cuit et qu’elle fit manger au tigre et au lièvre. Le lièvre demanda à la poule comment elle avait fait et elle lui répondit qu’elle s’était perchée sur le bord du pot et y avait pondu son œuf.

Le tigre et la poule allèrent aux champs ; le tigre dit au lièvre de rester à la maison et de préparer le repas. Le lièvre fit comme avait fait la poule : il prit un pot d’eau bouillante, monta dessus et y laissa tomber une crotte qu’il servit ensuite au tigre. Le tigre se mit en colère et battit le lièvre.

Le lendemain, le tigre dit à la poule de rester à la maison et au lièvre d’aller au travail. Le lièvre se mit en colère et résolut de lui jouer un mauvais tour. Il dit au tigre de se coucher sur le dos en écartant les quatre pattes. Il formerait ainsi une espèce de voiture sur laquelle il entasserait l’herbe et qu’il traînerait à la maison[3]. Quand l’herbe fut entassée il y mit le feu, et c’est là la cause des rayures de la robe du tigre.

Le tigre le poursuivit pour se venger ; le lièvre se sauva dans une touffe de bambous. Quand le tigre l’eut découvert, il fit semblant d’être tout joyeux de le voir et lui cria : « J’ai là un instrument de musique admirable ; si tu es fort, passe la queue entre les cordes et tire-la de manière à produire un son pareil[4]. Laisse-moi seulement me mettre à distance et tire ensuite. » Le tigre y consentit ; il laissa partir le lièvre et introduisit sa queue entre les bambous. Arriva un coup de vent qui les froissa tous les uns contre les autres et la queue du tigre fut coupée.

Le tigre se mit à la poursuite du lièvre pour le battre ; le lièvre se réfugia prés d’un nid de guêpes. Quand le tigre aperçut le lièvre il lui cria : « Tu m’as trompé, tu m’as fais écourter et tu t’es réfugié ici. » Le lièvre fit semblant d’être tout joyeux de la rencontre ; il salua le tigre et lui dit : « J’ai là un magnifique tambour ; si tu es fort, donne-lui un grand coup, tout le ciel en retentira. Seulement laisse-moi me mettre un peu loin. » Le tigre y consentit et donna un grand coup dans le nid de guêpes ; les guêpes se jetèrent toutes sur lui et il hurla à remplir toute la forêt de ses cris.

Il se remit à la recherche du lièvre qui, en le voyant approcher, sauta dans un puits abandonné. De là il dit au tigre : « J’ai entendu dire que le ciel allait tomber, que fais-tu encore là ? » Le tigre demanda au lièvre comment il fallait faire pour échapper à la mort. Le lièvre lui répondit : « Si tu veux échapper, descends avec moi dans ce puits ». Le tigre sauta dans le puits. Le lièvre alors le tracassa tellement que d’un coup de patte le tigre l’envoya hors du puits. Le lièvre se mit à crier et à appeler les gens du village qui vinrent et tuèrent le tigre.

Le lièvre était allé manger des patates dans un champ quand il fut pris. Il se mit à faire le mort ; alors celui qui l’avait pris le jeta, et il se sauva.

Une autre fois il fut pris aussi dans un champ de patates. Celui qui le tenait le rapporta chez lui et l’enferma sous un panier[5] à prendre le poisson. Le lendemain était jour de fête[6], et il se promettait de tuer son lièvre et d’en régaler ses parents. À côté du panier se trouvait une jarre dans laquelle était un gros poisson[7]. Le lièvre lui dit : « Si tu restes dans cette jarre, demain tu seras mort, car on va te taire cuire. Casse donc la jarre d’un coup de queue et va-t-en. » Le poisson l’écouta, il cassa la jarre et bondit au dehors ; le lièvre se mit à crier au maître que son poisson se sauvait. Celui-ci, pour attraper le poisson, prit le panier sous lequel était le lièvre et le lièvre s’enfuit.

Le lièvre était sur le bord du fleuve et ne savait comment faire pour le passer. Il appela le crocodile et lui dit : « Si tu me passes de l’autre côté, je te donnerai ma sœur en mariage. » Le crocodile le crut et le transporta sur l’autre rive ; le lièvre sauta lestement à terre et lui dit : « Quelle sœur te donnerai-je, bête vorace ? » Mais un autre jour le lièvre vint au bord du fleuve pour brouter. Le crocodile flottait avec un monceau d’herbes sur le dos. Le lièvre sauta au milieu de cette herbe et se trouva pris par le crocodile. Celui-ci irrité le menaçait en faisant hù ! hù[8]. « Je ne crains pas ton hù ! hù !, lui dit le lièvre. Si tu faisais hà ! hà ! ce serait une autre affaire. » Le crocodile voulut dire hà ! hà ! il ouvrit la gueule et le lièvre disparut.

C’est ainsi que le lièvre se moquait de tous les animaux et échappait constamment à la mort.

  1. Ce conte est évidemment d’origine cambodgienne. (Voir Aymonier, Textes khmêrs, publiés avec une traduction sommaire. In-folio (autographié). Saigon, 1878. — Pages 31-41 de la partie française.) Mais dans le détail il a été accommodé sur quelques points au goût annamite. Il se retrouve aussi chez les Chams du Binh Thuàn.
  2. Herbe dont on couvre les maisons.
  3. C’est le même procédé que les marmottes emploieraient pour faire leurs foins et auquel elles doivent, dit-on, leurs dos pelés.
  4. Il s’agit ici du son que produisent les bambous frottés les uns contre les autres par l’action du vent ; le lièvre défie le tigre de produire un son pareil en se servant de sa queue pour faire vibrer les bambous.
  5. Nôm. Espèce d’engin de bambou à fond étroit et à bords évasés que l’on tient d’une main et dont on couvre par un mouvement rapide le poisson aperçu sur la vase ou dans une eau très peu profonde.
  6. Ki com. Sacrifice, anniversaire de la mort de parents.
  7. Con câ lôt (ophiocephalus striatus).
  8. Grognement qui se prononce les dents serrées, tandis que pour dire hà ! hà ! le crocodile doit ouvrir la gueule.