Contes et légendes annamites/Légendes/062 Le pauvre qui porte plainte

La bibliothèque libre.


LXII

LE PAUVRE QUI PORTE PLAINTE
CONTRE L’EMPEREUR CÉLESTE.



Deux enfants, portant le même nom de famille, naquirent dans le même village à la même heure du même jour de la même année. Leurs parents disaient que riches ou pauvres leur sort serait nécessairement pareil[1]. L’un cependant devint très riche, tandis que l’autre resta pauvre.

Outré de cette injustice du Ciel et des reproches que lui faisaient ses parents, ce dernier se résolut à aller se plaindre à l’Empereur céleste. Il marcha quatre-vingt-dix jours sans pouvoir arriver au séjour de l’Empereur céleste. Il se trouvait sur une montagne où il était incommodé des moustiques. Il coupa des arbres pour les brûler, afin d’écarter les moustiques à l’aide de la fumée.

Il se trouva que les arbres étaient des tram huong et des ky nam, de sorte que leur parfum monta jusqu’à l’Empereur céleste. Celui-ci envoya l’ông dia pour voir ce qu’il y avait là. L’ông dia rencontra notre homme et lui demanda pourquoi il brûlait des parfums, et s’il voulait faire pénitence. « Non, dit l’autre, je vais me plaindre à l’Empereur céleste de son injustice. Pourquoi mon camarade est-il riche, tandis que je reste pauvre ? » — « Calme-toi, lui dit l’ông dia ; je vais aller rapporter la chose à l’Empereur céleste et lui demander de t’accorder cent ans de vie. — Je ne veux pas de cent ans de vie si je dois rester pauvre, je préfère ne vivre que trente ans et être riche. — Bien ! dit l’ong dia ; je vais demander pour toi la richesse. — Laissez-moi vous suivre pour que je présente moi-même ma plainte à l’Empeur céleste, lui répondit l’homme ; vous me tromperiez, et quand vous seriez parti, comment trouverais-je mon chemin ? »

L’ong dia se mit en colère et lui dit : « Ton destin est d’être pauvre ; il en a été décidé ainsi par l’Empereur céleste ; je le prierai de te rendre encore plus pauvre. » Mais, à cette menace, l’homme l’empoigna par les cheveux et se mit à le battre. L’ong dia ne sut comment se débarrasser, et force lui fut de laisser son corps aux mains de l’homme et de se rendre en esprit auprès de l’Empereur céleste à qui il rendit compte de ce qui arrivait.

L’Empereur accorda la richesse à l’homme, et l’ong dia descendit pour l’en avertir, mais il refusait de le croire. L’ong dia lui dit : « Je vais me mordre un doigt et, avec mon sang, t’écrire une promesse que tu garderas. Si je t’ai trompé tu la brûleras pour te plaindre de moi à l’Empereur céleste. »

L’homme le crut, s’en retourna chez lui, et devint très riche. Arrivé à l’âge de vingt-neuf ans, il se souvint qu’il n’avait plus qu’un an à vivre. Il se mit donc à distribuer toutes ses richesses en aumônes. Au terme fixé il mourut. Mais ceux à qui il avait fait du bien prièrent tellement qu’ils touchèrent Ngoc hoang. Il lui laissa cent ans de vie et de fortune.



  1. Tous les éléments qui servent à la prédiction des sorts étant les mêmes, le résultat devait nécessairement être identique.