Contes et légendes annamites/Légendes/066 Le langage des animaux

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 164-165).


LXVI

LE LANGAGE DES ANIMAUX.



Un homme riche allait chaque jour se promener dans le chemin. Une fois il vit deux serpents dans leur trou, la femelle changeait de peau et le mâle allait chercher de la nourriture pour elle. Une autre fois c’était le mâle qui changeait de peau ; mais la femelle, au lieu de rester à le soigner, allait courir avec ses galants. L’homme, indigné de sa conduite, lui tira une flèche et la tua. La flèche resta dans le corps.

Au bout de quelques temps, le mâle ne voyant pas revenir sa femelle rampa hors de son trou. Il la trouva morte avec la flèche au travers du corps. Il reconnut la flèche et résolut de venger la mort de sa femelle sur son meurtrier. Il entra donc dans la maison de l’homme et, caché dans une gouttière, attendit une occasion favorable pour le mordre.

Par bonheur l’homme dit à sa femme : « Les mœurs des animaux me font rire. » Sa femme lui demanda pour quelle raison. « L’autre jour, dit le mari, je passais dans le chemin ; un serpent mâle était dans son trou à changer de peau, pendant ce temps sa femelle montait au bord du trou pour recevoir les galants. Voilà comment sont les animaux et comment sont aussi les hommes. »

Le serpent, couché dans la goutière, entendit ces paroles et vit que l’homme avait puni avec justice sa femelle ; il s’en alla donc sans lui faire de mal et un autre jour vint porter dans son lit sa pierre précieuse en signe de reconnaissance.

Une fois en possession de cette pierre[1], l’homme comprit le langage des oiseaux, des fourmis, de toutes les espèces d’animaux. Il n’osa pas dire à sa femme qu’il possédait ceue pierre ; s’il l’avait fait la pierre se serait évanouie. Un jour la femme allant s’accroupir dans un coin, le mari entendit les fourmis se dire : « Voilà une inondation, cherchons une hauteur pour nous mettre en sûreté » Il se mit à rire. Sa femme voulut en savoir la raison, mais il refusa constamment de la lui dire. La femme fut tellement vexée qu’elle en mourut.

Le mari fut très affligé de la mort de sa femme ; il alla chez un de ses amis pour se distraire un peu. Cet ami le reçut avec joie, il dit à sa femme : « Nous avons cinq oies, un mâle, une femelle et trois petits ; demain il faudra faire cuire la femelle pour fêter notre hôte. » L’oie entendit ces paroles ; elle dit en gémissant à son mâle : « Demain il me va falloir mourir ; toi, reste pour avoir soin de nos petits. » L’homme avait compris ce que l’oie avait dit à son mâle ; il fut ému de pitié et dit à son ami : « Entre nous il n’y a pas besoin de faire de cérémonie, je mangerai ce qu’il y aura, mais ne tuez rien pour moi, sans cela je pars tout de suite et je ne serai plus jamais votre ami. » L’ami obéit et la vie de l’oie fut sauvée.

Elle en fut toute joyeuse et ne savait comment faire pour témoigner sa gratitude. Peu de temps après son bienfaiteur mourut, les oies portèrent son deuil, et c’est depuis ce temps-là qu’elles ont une crête blanche.



  1. Ngoc nghe. La pierre qui permet d’entendre tout ce qui se dit. Les serpents ont dans la bouche une pierre de cette nature ; d’autres animaux, les scolopendres, le ba ba, comme on l’a vu plus haut, ont aussi dans la bouche une pierre précieuse ; mais leurs pierres ne sont pas douées de la même vertu.