Contes et légendes annamites/Légendes/119 Amour paternel et piété filiale

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CXIX

AMOUR PATERNEL ET PIÉTÉ FILIALE.



Il y avait un homme riche qui avait trois fils. Il les éleva avec grand soin, et quand ils furent grands leur partagea ses biens en se réservant une part[1] pour sa vieillesse et celle de sa femme. Les enfants dissipèrent ce qu’ils avaient reçu, le vieillard au contraire fit si bien valoir ce qui lui était resté qu’il se trouva plus riche qu’avant.

Les trois enfants voulurent encore mettre la main sur ses biens ; ils vinrent trouver leur père et lui dirent : « Maintenant vous êtes vieux et faible, vous n’avez plus la force nécessaire pour vous occuper de vos affaires, remettez vos biens entre nos mains, et nous vous nourrirons, vous et notre mère. Le vieillard réfléchit un peu et leur dit que dans trois mois il leur rendrait réponse.

Autour de sa maison il y avait des arbres dans lesquels des oiseaux avaient fait leurs nids. Le vieillard prit deux jeunes oiseaux et les enferma dans une cage. Chaque jour il vit leurs parents venir se poser en dehors de la cage et porter de la nourriture à leurs petits. Les oiseaux, dit le vieillard, aiment leurs petits ; même en captivité il ne les abandonnent pas.

Quand les petits furent devenus forts et purent voler, le vieillard les relâcha et s’empara de leurs parents qu’il enferma dans la cage. Mais il ne vit jamais les petits apporter de la nourriture à leurs parents ou même les visiter.

Les trois mois de délai expirés, les enfants du vieillard vinrent lui demander sa réponse. Il leur raconta ce qu’avaient fait les oiseaux et leur dit : « Vous voulez que je vous partage mes biens, je n’ai aucun désir de les conserver, mais j’ai peur que par la suite vous ne puissiez pas nourrir vos parents. » Les enfants jurèrent qu’ils les nourriraient jusqu’à la fin et insistèrent tant que le vieillard céda à leurs prières et les mit en possession de tous ses biens. Ils les dissipèrent et leurs parents furent plongés dans la misère. Il est dit : Pour nourrir leurs enfants, l’amour des parents est vaste comme la mer ; pour nourrir leurs parents, l’amour des enfants ne dure pas un jour.[2]

 
Cha me nuôi con lai lang biên hô,
Con nuôi cha mo không toi môt ngày.



  1. Phân duong lâo, littéralement : Part pour nourrir la vieillesse.
  2. Voici une variante de ces vers

     
    Me nuôi con bien hu lai lang
    Con nuôi me kè thang ke ngày.

    La mère qui nourrit ses enfants est pareille à l’immense mer.
    Mais les enfants qui nourrissent leur mère comptent les jours et les mois.