Contes et légendes annamites/Pour rire/13 Devins

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 328-330).
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XIII

DEVINS.



Deux devins[1] aveugles étaient mal dans leurs affaires et ne savaient plus où trouver de quoi manger. Ayant entendu dire que sur la rive il se trouvait une barque vide, ils résolurent de l’enlever et d’aller la vendre ailleurs. Nos deux hommes se jetèrent donc dans la barque et ramèrent de toutes leurs forces, mais ils ne s’aperçurent pas qu’ils ramaient en sens inverse l’un de l’autre, de sorte qu’après avoir peiné toute la nuit ils se trouvaient au même point. Le maître du bateau arriva et leur demanda ce qu’ils faisaient dans son bateau. Les autres qui se croyaient bien loin du point de départ lui répondirent insolemment. L’homme sauta dans le bateau et se mit à taper sur les devins qui s’enfuirent. Dans leur fuite ils se heurtèrent contre un cocotier et, croyant avoir encore affaire au maître du bateau, se prosternèrent devant lui pour le prier de les laisser aller.



Un éléphant passait dans un village ; trois devins aveugles voulurent eux aussi aller voir cette bête curieuse et dirent à leur guide de les y mener. Seulement comme ils ne pouvaient pas le voir ils voulurent le toucher et en obtinrent la permission des gardiens de l’éléphant. L’un toucha la trompe, l’autre les pieds, l’autre la croupe. « On dit que l’éléphant est si gros ! dit celui qui avait touché la trompe ; il est au contraire tout petit, » — « Tout petit ! dit celui qui avait touché la croupe ; mes doigts ne pouvaient en trouver la fin. » — « Oh ! dit le troisième, il n’est pourtant pas si gros que cela : comme un traversin tout au plus. » Là-dessus les devins, en fureur, se mirent à se battre. Le guide, feignant que tous les coups tombaient sur lui, cria au secours, se coucha par terre et prétendit avoir été battu par eux. Ils furent forcés de lui payer cinquante ligatures.



Un pauvre diable avait perdu sa serpe ; il porta une ligature au devin pour qu’il la lui fit retrouver. Le devin tira de son sac une baguette[2] et lui dit de chercher et qu’il la retrouverait certainement. Notre homme se mit à chercher, mais sans effet et il prit la chose si à cœur qu’il en tomba malade, il alla alors chez le médecin qui lui administra une pilule purgative. Cette pilule, opérant, le força à chercher des endroits écartés où il trouva sa serpe. Voilà notre homme guéri et chantant les louanges du médecin. Celui-ci lui dit : « Avec tout cela, tu ne m’as pas payé. Si tu n’as pas d’autre argent va réclamer au devin la ligature que tu lui as donnée et qui me revient à meilleur titre. » Le devin résista, mais les notables du village, devant qui le procès fut porté, le condamnèrent à payer.



Un malade alla consulter un devin pour savoir à quel médecin il devait s’adresser pour traiter sa maladie. Le devin tira une baguette et dit : « Va chercher un médecin chez qui le couteau à hacher les drogues[3] soit couvert de toiles d’araignée. » Le malade courut tous les médecins sans trouver ce qu’il cherchait. L’un d’eux enfin lui demanda des explications, et quand il lui eut raconté son affaire il lui dit : « J’ai ce qu’il te faut. » Il lui montra en effet un vieux couteau dont on ne s’était pas servi depuis longtemps et qui était couvert de toiles d’araignée. Quand le malade eut exposé son mal, le médecin lui ordonna de prendre comme remède une mouche prise sur le visage du devin. Le malade alla à la maison du devin et lui écrasa sur la figure la première mouche qui s’y posa. Ce fut ainsi que ce médecin se vengea du devin.



  1. Thây boi. Beaucoup de ces devins sont aveugles ou feignent de l’être pour inspirer plus de confiance dans leurs prédictions.
  2. Qué.
  3. Les médecins préparent et vendent les drogues qu’ils font payer séparément.