Contes et légendes annamites/Pour rire/16 Fonctionnaires

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 334-335).
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XVI

FONCTIONNAIRES.



Un aspirant aux fonctions publiques prononça un jour ce serment : « Si lorsque j’aurai été nommé j’étends jamais la main pour recevoir un présent, puisse-t-elle se détacher du corps ! » Quelque temps après il fut fait huyên et l’on vint lui offrir des sommes pour qu’il s’intéressât à une affaire. N’osant à cause de son serment les recevoir avec la main, il les fit mettre sur un plateau qui pouvait sans inconvénient se détacher du corps.



Il y avait un phù honnête homme qui ne recevait jamais de cadeaux. Il était inflexible sur ce point ; un jour, des gens à qui il avait fait gagner un gros procès voulurent lui en témoigner leur reconnaissance. Ils vinrent trouver sa femme et lui demandèrent d’accepter les présents que son mari refusait. La femme dit qu’elle n’oserait, mais que s’ils voulaient, ils lui donnassent un rat d’argent et que plus tard elle l’offrirait à son mari qui était né dans l’année du rat. Il fut fait comme il avait été dit. Quand le phù fut devenu vieux il se retira dans son pays, et comme il n’avait pas fait d’économies il fut rapidement réduit à la pauvreté. Sa femme lui montra alors le rat d’argent et lui raconta comment on le lui avait donné autrefois. Que ne leur as-tu dit que j’étais né dans l’année du buffle, soupira le pauvre phù[1].



Un huyên envoya un soldat lui acheter une barre d’argent. Le changeur arriva avec deux barres que le huyên prit entre ses mains. « Combien valent ces barres ? » demanda le huyèn. — « Cent ligatures, répondit le changeur ; mais à vous je les laisserai à cinquante. » Le huyén lui en rendit une et garda l’autre. Quelque temps après, le changeur voyant qu’on ne le payait pas, vint réclamer. « Comment ! dit le huyên, je t’ai donné une barre de cent ligatures pour deux de cinquante, ne sommes-nous pas quittes ? »



Un mandarin fort maladroit à la cible alla en expédition ; il fut battu et honteusement poursuivi ; heureusement un génie vint à son secours avec une armée de fantômes, et il put regagner ses foyers. Le mandarin se prosterna devant le génie pour lui rendre grâces. L’autre le releva et lui dit : « C’est moi qui suis votre obligé ; je suis le génie de la cible et vous la manquez toujours. »


  1. Ce conte, dont le but est de prouver qu’aucun fonctionnaire n’est parfaitement intègre, est très populaire parmi les Annamites et il se trouve partout. Il est, je crois, emprunté à une source chinoise, mais il peint très bien la situation du fonctionnaire annamite peu ou pas payé, n’ayant d’autre ressource pour ses vieux jours que ce qu’il aura pu sauver sur ses déprédations.