Contes et légendes annamites/Pour rire/19 Maris

La bibliothèque libre.
Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 340-341).
◄  Médecins
Orfèvres  ►


XIX

MARIS.



Il y avait un village où les hommes avaient peur des femmes et où c’étaient celles-ci qui gouvernaient la maison. Chaque jour elles profitaient davantage de leur supériorité ; si bien qu’un jour les hommes ne pouvant plus supporter leur sort se réunirent à la pagode. « Il est dit dans le Gia thât[1] dirent-ils : L’homme commande, la femme obéit. Où nos femmes ont-elles pris le droit d’abuser ainsi ? Si cela continue nous serons l’objet de la risée universelle. » Ils se jurèrent[2] donc que aussitôt que dans leur ménage une femme parlerait trop haut, ils appelleraient au secours et l’attacheraient pour l’exemple. Un mandarin qui habitait le village s’était mis du complot et avait juré qu’au moindre bruit il enverrait ses agents pour prêter main-forte.

Or, pendant que les hommes délibéraient dans la pagode, les femmes s’étaient aperçues de leur absence. Elles se demandèrent les unes aux autres : « Que peuvent-ils bien faire tous ensemble. » Là-dessus elles se mirent à leur recherche. Arrivées à la pagode elles poussèrent un cri : « Les voici ! » et elles se précipitèrent chacune pour saisir le sien.

Ils s’enfuirent tous, qui d’un côté qui de l’autre. Un seul resta, qui, peu ingambe, avait roulé par terre. Ouand plus tard on lui demandait comment il n’avait pas eu peur et ne s’était pas enfui comme les autres : « Ce n’est pas la peur qui me manquait, répondit-il, mais les jambes. »

Quant au mandarin, lorsqu’il entendit le tapage il voulut ordonner à ses hommes d’y courir, mais sa femme lui demanda pourquoi il leur disait de sortir. « Je croyais, ma bonne amie, répondit-il, que tu voulais aller te promener et je leur ordonnais de t’accompagner. » Ainsi fut déjoué le dessein des hommes de ce village, et les femmes restèrent maîtresses.

Quand les supérieurs ne font pas leur devoir, les inférieurs causent du désordre.



Un mandarin militaire avait peur de sa femme. Ses collègues lui en firent honte et lui dirent que pour la terrifier il n’avait qu’à se présenter devant elle à la tête de ses troupes. Le mandarin fit donc un jour irruption dans le logis, suivi d’une nombreuse escorte « Qu’est cela ! » s’écria la femme irritée. Le mari à sa vue sentit tomber tout son courage. « Ne te fâche pas dit-il ; je les mène à l’exercice, et comme en passant, j’ai eu soif, je suis entré pour boire un verre d’eau.



  1. Livre d’instruction sur les rites, en Chinois.
  2. Huyët thé ; serment par le sang, qui se jure en buvant le sang d’une victime.