Contes et nouvelles (Ista)/Tome 3/1

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Imprimerie Bénard (3p. 5-9).


Un peu d’histoire


Le peintre Molesquin travaille à son grand tableau : « Une fête à la Cour de Louis XVI ». Pour poser le personnage de Marie-Antoinette, il a choisi la grande Lolotte, celle que ses petites amies ont surnommée « Marennes blanche », par une délicate allusion aux qualités de son teint et de son intelligence. Lolotte vient de revêtir l’immense robe à paniers, le long corsage lacé en échelle et la haute perruque poudrée. Tout ahurie, elle s’examine dans une glace.

LOLOTTE. — Ben, mon vieux, c’est rien rigolo !… Et puis commode : J’pourrais avoir une demi-douzaine de polichinelles dans l’tiroir, ça s’remarqu’rait même pas… C’est pas vrai, dis, qu’les femmes ont jamais été déguisées comme ça ?

MOLESQUIN. — Mais si ; c’est un costume historique.

LOLOTTE. — Ben, mon vieux, c’qu’on d’vait les engueuler dans la rue !… Et ça d’vait être bien pratique pour grimper en wagon ou sur l’autobus… C’est rien rigolo !… Tu m’vois entrer comme ça à Tabarin ? Ah non ! J’suis bien trop intelligente pour me frusquer d’la sorte.

MOLESQUIN. — Ça ne te ferait rien de prendre la pose ?… Là ; comme ça… La main appuyée sur ce meuble… Bien, la main… Très bien… Ne la bouge plus… Le corps bien droit, la tête un peu inclinée… Non !… De l’autre côté… Encore un peu… C’est ça… De la fierté, de la grâce… Bon, ça va bien… Tu tiens la pose ?… Je commence.

LOLOTTE. — On peut causer ?

MOLESQUIN. — Ça ne me dérange pas. Jabotte, mais ne bouge plus.

LOLOTTE. — Compris… Qui c’est, que j’représente ?

MOLESQUIN. — Marie-Antoinette.

LOLOTTE. — Oh la la !… Elle n’avait pas même de nom d’famille… Mince de grue, alors !

MOLESQUIN. — Mais non, c’était une reine.

LOLOTTE. — Une pour de vrai, ou une des lavoirs ?

MOLESQUIN. — Une pour de vrai.

LOLOTTE. — C’est rien rigolo !… V’la que j’fais la reine, à présent !… On en fait d’drôles, de métiers, pour gagner sa vie !… Pourquoi qu’elle était reine ?

MOLESQUIN. — Parce qu’elle avait épousé un roi.

LOLOTTE. — C’est bien malin !… J’en f’rais tout autant, à l’occasion, et mieux qu’elle, p’t’être bien !… Qui c’était, le roi qu’elle avait levé ?… Attends, j’sais bien !… C’était Henri IV, celui qu’est su’l’Pont-Neuf !

MOLESQUIN. — Tu en es sûre ?

LOLOTTE. — C’te malice !… Y’a pas b’soin d’avoir appris la chose… l’astronomie, pour voir que les deux costumes sont assortis, celui du Pont-Neuf et çui-ci… J’suis bien trop intelligente pour ne pas avoir senti ça tout de suite.

MOLESQUIN. — Tu m’en diras tant…

LOLOTTE. — Ça m’aurait botté, à moi, d’être reine… On fréquente des gens d’la haute… des ambassadeurs…, des députés…, le président de la République… Y’a des femmes qu’ont d’la veine, tout d’même… Tu crois qu’elle le trompait, Henri IV ?

MOLESQUIN. — Je te jure sur l’honneur que Marie-Antoinette n’a jamais trompé Henri IV.

LOLOTTE. — Ben, mon vieux, tu en as encore une, de couche !… J’les connais, va, les dames de la haute. Elles sont pires que nous. Tiens, elle l’aurait même empoisonné, son mari, qu’ça n’m’étonn’rait pas… Il est pas mort empoisonné, Henri IV ?

MOLESQUIN. — Mais non !… Il a été assassiné par…

LOLOTTE. — Ah oui !… J’me souviens !… Laisse-moi dire… Par un anarchiste, avec une bombe de dynamite… J’ai lu ça dans un bouquin qu’était rud’ment rigolo, un soir que j’pouvais pas roupiller parce que j’avais mal aux dents… Et puis, elle s’est remariée, s’pas ?

MOLESQUIN. — Il faut le croire puisque tu le dis.

LOLOTTE. — C’est sûr, puisque c’était dans le livre. Elle s’est remariée avec un général, un borgne… Seul’ment, j’sais plus comment qu’i s’app’lait, parce que les généraux, y’en a qu’un que j’peux m’rapp’ler son nom. C’est Cambronne, celui qui disait tout l’temps…

MOLESQUIN. — Suffit, je connais l’histoire.

LOLOTTE. — Tu vois qu’ j’ai raison, puisque tu connais l’histoire aussi. C’est rigolo, qu’on ait lu tous les deux la même. Moi, mon vieux, quand j’ai lu quéque chose, j’suis bien trop intelligente pour pas le r’tenir. Qu’est-ce qu’elle est devenue, maintenant, Marie-Antoinette ?

MOLESQUIN. — On l’a guillotinée, en quatre-vingt-treize.

LOLOTTE. — Ah mais non, mon vieux, j’marche pas !… J’suis bien trop intelligente pour en avaler une pareille. J’étais encore qu’une gosse, en quatre-vingt-treize, mais si on avait guillotiné une reine, j’m’en rappell’rais bien.

MOLESQUIN. — C’était en 1793… Tu ne peux pas te souvenir de ça, voyons !

LOLOTTE. — Tu m’en diras tant… Et Henri IV, puisque c’est un anarcho qui l’a descendu, on l’aura mis au Panthéon, bien sûr ?

MOLESQUIN. — Non.

LOLOTTE. — C’est pas juste, puisqu’on y a mis Carnot… J’ l’ai visité, moi, l’Panthéon, un jour qu’i lansquinait et qu’ j’avais pas l’rond pour prendre l’autobus.

MOLESQUIN. — Tu as vu les fresques de Puvis de Chavannes ? Qu’en penses-tu ?

LOLOTTE. — Les quoi ?

MOLESQUIN. — Les fresques, les peintures.

LOLOTTE. — Ah oui ! Des bonshommes, sur les murs… C’est pas mal, c’est rigolo…

MOLESQUIN. — C’est une opinion.

LOLOTTE. — Eh ben, mon vieux, qu’Henri IV soit enterré au Panthéon ou au Père-Lachaise, j’suis pas fâchée qu’on ait causé d’tout ça… C’est toujours bon d’ s’instruire, pas vrai ?… Moi, j’suis bien trop intelligente pour dire comme celles qui prétendent que l’instruction n’sert à rien.

MOLESQUIN. — Si tu continues à t’instruire comme aujourd’hui, tu vas devenir bigrement savante.

LOLOTTE. — Ça n’ s’rait rien d’ trop, mon vieux. Tu n’ t’imagines pas c’que le hommes sont exigeants, sous c’rapport-là. Figure-toi qu’hier j’ai fait la connaissance d’un vieux monsieur… Ah ! j’lui ai rien accordé… Pas ça !… S’i veut qu’ je marche, faudra qu’i m’mette dans mes meubles… Eh bien, il est tell’ment rasoir sous l’rapport de l’instruction, que si j’ t’ai d’mandé d’ compléter mes idées sur toutes ces bêtises-là, j’ t’avoue que c’est pour les lui r’placer quand je l’reverrai… Tu crois qu’il va être épaté, quand j’lui parlerai d’ Marie-Antoinette, d’Henri IV, de Cambronne, du Panthéon et tout ça ?

MOLESQUIN. — Pour sûr, qu’il sera épaté !

LOLOTTE. — Faut ça pour les prendre, mon vieux. Au jour d’aujourd’hui, si on n’leur dit pas qu’on a été él’vée aux Oiseaux, y’ a rien d’fait.

MOLESQUIN. — Ah ! tu lui as dit… ?

LOLOTTE. — Naturell’ment… Tu voudrais pas qu’ j’aille lui raconter qu’ papa était chiffonnier… J’lui ai dit qu’ j’étais la fille…

MOLESQUIN. — D’un officier supérieur.

LOLOTTE. — Ah mais non, mon vieux ! ça n’prend plus, cette histoire-là. Y’ en a trop qui l’ont racontée quand c’était pas vrai… J’suis bien trop intelligente pour avoir dit qu’ j’étais la fille d’un officier supérieur… j’lui ai raconté qu’ papa était colonel…


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