Contes indiens (Feer)/III/8
§ 8. — LES RICHESSES
Les richesses ne sont pas le plaisir ; mais, par le moyen qu’elles offrent de se procurer toutes les jouissances, elles se confondent presque avec lui. On peut, comme bien d’autres choses, les envisager diversement, soit en bien, soit en mal.
C’est la richesse qui fait la grandeur de l’homme. La richesse vient de Laxmî ; tout est soumis à Laxmî. Vishnu n’est devenu le suprême seigneur qu’en subjuguant Laxmî. Remarquez l’identification de Laxmî, déesse de la fortune, avec la richesse ; nous nous rencontrons avec les Hindous en attribuant au mot « fortune » le sens de « richesse ». La richesse se confond avec Laxmî, la fortune ; il faut en prendre grand soin et ne pas la dissiper (11). Ainsi raisonne l’ami des richesses.
Ne pas dissiper ses richesses, c’est fort bien ! Mais la richesse est essentiellement instable ; elle vient, elle s’en va. Comment et pourquoi ? Nul ne le sait. On a beau faire, la richesse se dissipe et coule entre les mains. Ainsi parle l’homme qui n’a pas d’attachement pour la richesse, et surtout le prodigue qui ne sait pas la garder (3 et 11).
La privation de richesses est un grand malheur. Quand un riche a perdu ses biens, voisins et parents le délaissent ; la vie la plus dure dans un affreux désert est préférable pour un homme dans cette situation à la continuation de la résidence dans le lieu qu’il habitait (11).
Que faut-il donc penser des richesses ? On a vu plus haut que la science leur est supérieure ; on peut les perdre, tandis qu’elle, on la conserve toujours. Mais est-ce à dire que la science suffise et que les richesses soient inutiles ? L’auteur de nos récits ne se prononce pas sur la question. Il semble admettre que la richesse est un avantage précieux et désirable, mais qu’il faut ne pas trop y tenir et savoir s’en détacher. Seulement dans quelle mesure doit-on le faire ? Quelle conduite tenir à l’égard des richesses ? Là est la difficulté.
La vie de Vikramâditya semble être donnée comme un exemple du détachement des richesses ; il distribue les siennes à tort et à travers ; il est vrai qu’il en avait en abondance. Il prend à pleines mains dans une mine inépuisable et jette comme au hasard ses trésors incessamment renouvelés. Nous avons quelque peine à tirer de ce flux de libéralités un enseignement sérieux sur le bon emploi des richesses. Les fantaisies de l’imagination indienne, les exagérations extravagantes de ses fictions et de ses conceptions morales étouffent la voix du bon sens et altèrent l’idée du bien.