Contes indiens (Feer)/Récit/12

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RÉCIT DE LA 12e FIGURE




Une autre fois encore, l’auguste roi Bhoja s’approcha du trône pour s’y installer. Aussitôt, la douzième figure lui dit : « Eh ! roi Bhoja, pour être digne de s’asseoir sur ce trône, il faut être aussi libéral que l’était le roi Vikramâditya. » Le roi Bhoja répondit : « De quelle sorte était donc la munificence du roi Vikramâditya ? » La figure reprit : « Eh ! roi Bhoja, écoute :

« Un jour, l’auguste Vikramâditya, pour visiter son royaume, s’éleva à l’aide de ses chaussures magiques, et parcourut ainsi divers pays. En un certain lieu, il vit sur le bord d’un fleuve, non loin d’un temple des dieux, des brahmanes pandits qui discutaient sur le Çâstra. Vikramâditya s’approcha pour entendre leur discussion. Quand il fut tout près d’eux, il écouta. Dans la chaleur de la discussion, les pandits cherchaient surtout à soutenir respectivement leur propre thèse, et, pour cela, ils faisaient des distinctions misérables et de nature à détruire l’autorité du Çâstra. Après avoir prêté l’oreille, le roi dit : Eh ! pandits, écoutez : la recherche du sens véritable du Çâstra est le fait d’un savant : quand on repousse le sens véritable et qu’on cherche à établir sa propre thèse, on ne fait pas acte de savant. Celui qui, étant savant, fait de fausses interprétations pour établir sa propre thèse et rejette le sens naturel du Çâstra, celui-là se perd lui-même et cause la perte des disciples groupés autour de lui. — À l’ouïe de ces paroles du roi, les pandits se dirent en eux-mêmes : Le savant est celui qui est capable de démêler le vrai sens et la fausse interprétation du Çâstra ; la fausse interprétation que nous en avons faite, celui-ci l’a comprise : d’où la conclusion qu’il est le premier des savants (pandits). — Après s’être communiqué cette pensée, tous, remplis de honte, cessèrent la discussion.

« Sur ces entrefaites, un homme d’une beauté suprême arriva sur le bord du fleuve ; il était mourant. Il tomba et dit à tous ceux qui se trouvaient là : Venez vite, vous ; voyez ! Que m’est-il arrivé ? — Mais il avait beau dire : aucune des personnes présentes ne s’approcha de lui.

« Voyant cela, le roi Vikramâditya eut l’esprit pénétré de compassion ; il s’approcha de cet homme, lui donna des soins comme si c’eût été un de ses plus proches parents. L’homme en fut extrêmement satisfait et dit au roi : Homme de bien ! tu es mon meilleur parent ; car il est véritablement un parent celui qui vient en aide à l’heure de la calamité. Aussi il y a dans ma demeure un objet divin appelé Mûlikâ ; je te le donne, prends-le : quelque chose que tu demandes à cet objet, tu la recevras à l’instant. — Après avoir adressé ces paroles au roi et lui avoir remis la Mûlikâ, cet homme expira. Aussitôt un pauvre mendiant s’approcha du roi et lui demanda l’aumône (en disant) : Eh ! grand roi, tu es un grand faiseur de dons ; donne-moi l’aumône de manière que mon indigence prenne fin. — Le mendiant n’eut pas plutôt formulé sa demande que le roi lui donna cette Mûlikâ ; puis, s’élevant à l’aide de ses chaussures magiques, il retourna dans sa capitale. »

La douzième figure dit au roi : « Eh ! roi Bhoja, si tu es ainsi compatissant et libéral, alors tu es digne de t’asseoir sur ce trône. »

Après avoir entendu ce discours, le roi Bhoja se désista cette fois encore.