Contes indiens (Feer)/Récit/17

La bibliothèque libre.
(p. 121-126).

RÉCIT DE LA 17e FIGURE



Une autre fois encore, comme le roi Bhoja se tenait près du trône afin de se faire sacrer, la dix-septième figure lui dit : « Eh ! roi, écoute quelle était la munificence de l’auguste Vikramâditya :

« Dans le temps où l’auguste Vikramâditya exerçait la royauté complète de la ville d’Avantî, en ce temps-là, par la force de la justice du roi, tout le monde se plaisait communément dans la vertu. Les femmes ne connaissaient qu’un seul homme ; tous grains poussaient en toutes terres ; on se détachait du mal, on s’attachait à la loi, on persistait dans des résolutions conformes au sens des Çâstras, on respectait les hôtes, on se conformait au commandement de son père, de sa mère, du roi, etc., on suivait une morale conforme à la science de l’âme suprême ; en un mot, tout le pays brillait d’un éclat incomparable par son incomparable fidélité à la loi. Et l’auguste Vikramâditya, gardant les créatures, réprimant les méchants selon les prescriptions du Dandanîti[1] et du Râjanîti[2], jouissait de la royauté dans un bien-être parfait.

« Un jour, le gardien du parc vint trouver le roi et, après avoir fait l’anjali, lui donna cette nouvelle : Eh ! grand roi, un sanglier terrible, dont le corps est comme une montagne, semblable à Yama le messager de mort, est venu ; il a pénétré dans le bosquet des jeux. Il nous a tellement effrayés que nous avons déserté le jardin et nous sommes réfugiés jusqu’ici. Avise promptement aux moyens de repousser ce sanglier.

« Quand il eut entendu ce discours du gardien du parc, le roi, passionné pour la chasse, monta sur son éléphant et partit seul avec l’intention de repousser le sanglier. L’auguste Vikramâditya ne fut pas plus tôt entré dans le bois que le sanglier, en proie à une épouvante extrême, prit la fuite. Le roi se mit à sa poursuite. Après avoir ainsi franchi plusieurs bois, l’animal pénétra dans une forêt impraticable. Le roi l’y suivit et était près de l’atteindre quand le sanglier, ne voyant pas le moyen de se sauver, arrêté par la porte qui fermait la grotte d’une montagne élevée située dans la forêt, abattit cette porte d’un coup de boutoir et se lança en dedans. L’auguste roi Vikramâditya descendit de dessus son éléphant, s’arma de son glaive et de sa cuirasse et, avec son héroïsme sans égal, pénétra seul dans la grotte. Cette grotte était fort vaste ; c’était, pour ainsi dire, un pays (tout entier). Le roi fit toutes sortes de recherches sans pouvoir découvrir le sanglier. Il errait donc dans cette grotte, lorsqu’une ville dont il n’avait jamais entendu parler s’offrit à ses regards. Il y entra ; quand il fut dans cette ville, il aperçut une image de Nârâyana qui se tenait dans l’attitude du gardien de l’offrande. L’auguste Vikramâditya lui adressa divers éloges et révérences, lui fit le pradaxina et resta debout faisant l’anjali.

« Nârâyana, content de la foi avec laquelle le roi lui rendait un culte, communiqua à l’auguste Vikramâditya deux choses divines appelées Rasa et Rasâyana dont il lui expliqua les vertus : Eh ! grand roi, lui dit-il, pour ce qui est de cette chose appelée Rasa, toutes les choses auxquelles tu pourras penser et qui procurent les jouissances du Samsâra, tu les obtiendras par elle ; elles en sortiront. Quant à cette chose excellente dont le nom est Rasâyana, il en sortira tout ce que tu pourras penser qui soit d’une nature supérieure (aux choses du monde) ; tu l’obtiendras.

« L’auguste Vikramâditya, ayant ainsi obtenu ces deux choses dues à la gracieuseté de Nârâyana, sortit de la grotte. La porte de la grotte offrit la même résistance que précédemment ; il l’ouvrit d’un coup de poing et rentra dans sa capitale. Sur le chemin, il rencontra deux brahmanes, le père et le fils, savants dans tous les Çâstras, en proie à une extrême douleur. Après avoir entendu leur histoire, il souffrit excessivement de leur extrême douleur et donna à ces deux brahmanes, le père et le fils, les deux choses (qu’il avait reçues) Rasa et Rasâyana. »

La dix-septième figure ajouta : « Eh ! roi Bhoja, voilà quels étaient l’héroïsme, la munificence de l’auguste Vikramâditya. Si tu es tel que lui, alors tu es capable de t’asseoir sur ce trône. »

À la suite de ce discours, l’auguste roi Bhoja se désista encore ce jour-là.


  1. Code pénal.
  2. Code politique.