Contes indiens (Feer)/Récit/16

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(p. 115-120).


RÉCIT DE LA 16e FIGURE




Un autre jour encore, comme le roi Bhoja s’approchait du trône, la seizième figure lui dit : « Eh ! roi Bhoja, je te ferai l’exposé des qualités qui rendaient Vikramâditya digne de s’asseoir sur ce trône ; écoute :

« Il y avait un roi appelé Candraçekhara. Un jour, comme il siégeait dans son conseil, un étranger, un ménestrel, vint se présenter devant lui et célébra en plusieurs manières la gloire (de Vikramâditya) en disant : Il est doué de toutes les qualités, aussi tous se réfugient en lui ; lui-même est l’asile de toutes les qualités ; car c’est un homme qui a l’intelligence de toutes les qualités, un homme comme il n’y en a pas.

« Après avoir entendu le langage du ménestrel, le roi Candraçekhara lui dit : Eh ! ménestrel, tu as parcouru différents pays ; as-tu vu quelque part de pareilles gens, oui ou non ? — Le ménestrel répondit : Ô grand roi, je n’ai vu que le roi Vikramâditya qui soit doué d’autant de qualités. — Le roi Candraçekhara, après avoir entendu de la bouche du savant l’exposé de la conduite de Vikramâditya, éprouva le désir de lui devenir semblable et invoqua la divinité. La divinité, satisfaite des invocations du roi Candraçekhara, lui accorda le don de l’immortalité et lui dit : Eh ! roi, chaque jour tu livreras ton corps en sacrifice dans une source de feu, et ton corps brûlé redeviendra un corps d’une nature supérieure. — Après avoir prononcé ces paroles, la divinité devint invisible. Le roi fit donc de son corps un sacrifice quotidien, et son corps devint aussitôt divin. Ayant ainsi obtenu le privilège de l’immortalité, il accumula divers mérites.

« Le ménestrel raconta au roi Vikramâditya toute cette histoire du roi Candraçekhara. Le roi, après avoir entendu ce récit, fit dans son esprit cette série de réflexions : Celui-là seul est grand qui sait rendre semblables à lui les gens placés autour de lui. Pour moi, j’ai été grand, et (maintenant) je ne suis pas grand. C’est ainsi que le mont Malaya rend semblables à lui, en leur communiquant une agréable odeur, les arbres de son voisinage ; c’est là ce qui fait la supériorité du mont Malaya. (Au contraire) le mont Sumeru est fait lui-même de pierreries ; mais il ne communique pas aux montagnes qui l’entourent le privilège d’être faites en pierreries, de sorte que le privilège qu’il a d’être fait de pierreries se trouve inutile. Cet exemple prouve que le devoir de l’homme qui ne relève de personne est de travailler à ce que ceux qui vont en refuge près de lui soient dans le bien-être. Le roi Candraçekhara est heureux de tous points dans son existence ; mais il faut que, chaque jour, il entre dans l’huile bouillante[1]. C’est une grande douleur ; cette douleur, il faut absolument que je fasse ce qui est nécessaire pour la briser.

« Après avoir fait ces raisonnements dans son esprit, le roi Vikramâditya se rendit de sa personne dans la capitale du roi Candraçekhara, et, au moment où il entrait dans la source de feu, la divinité apparut et lui dit : Ô joyau de vertu, quel besoin avais-tu d’entrer dans la source de feu ? Le roi Candraçekhara, pour devenir semblable à toi, a accepté cette dure et pénible épreuve ; il s’assujettit à subir la douleur d’un corps constamment brûlé. Il m’a adressé bien des supplications et obtenu par là l’immortalité ; pourquoi as-tu rendu cet héroïsme inutile ? Maintenant, demande ce que tu désires.

« Vikramâditya répondit : Eh ! déesse, si tu es propice envers moi, je demande que le roi Candraçekhara n’ait pas à subir la douleur de brûler son corps chaque jour en entrant dans la source de feu ; accorde-moi ce don ! — La déesse (Devî) reprit : Eh ! roi, tu es un généreux donateur, compatissant, dévot : contente-toi de ce zèle, j’accorde au roi Candraçekhara le don que tu as choisi. — À ces mots, la déesse disparut. L’auguste Vikramâditya, après avoir délivré Candraçekhara de sa grande douleur, retourna dans sa demeure. »

La figure ajouta : « Eh ! roi Bhoja, écoute : le roi Vikramâditya est entré dans le feu pour délivrer un autre de la douleur. Qui est capable d’en faire autant ? S’il y a en toi une grandeur (d’âme) semblable à celle-là, alors tu peux t’asseoir sur ce trône. »

Après avoir entendu ces paroles de la figure, le roi Bhoja s’en alla la tête basse.



  1. Ce qu’on appelle ici « huile bouillante » était appelé plus haut « source de feu ». — Pour l’huile bouillante, voir récit 14.