Contes indiens (Feer)/Récit/7

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(p. 69-72).

RÉCIT DE LA 7e FIGURE



Une autre fois encore, le roi Bhoja, pour se faire sacrer, vint jusqu’auprès du trône. À peine y fut-il arrivé, que la septième figure dit : « Écoute, roi Bhoja, celui-là seul est capable de s’asseoir sur le trône qui rend service à tous les êtres comme le roi Vikramâditya. » À ces mots, le roi, désireux de savoir, dit : « Hé ! figure, en quoi consistait cette qualité qu’avait le roi Vikramâditya de rendre service à tous les êtres vivants ? » La figure reprit : « Hé ! roi Bhoja, écoute la conduite héroïque de Vikramâditya :

« Dans la ville Avantî, le roi Vikramâditya exerçait la royauté suprême. Un jour, il donna cet ordre à ses suivants : Apprenez ce qui se passe dans les divers pays, et venez (me le dire). — Les serviteurs, conformément à cet ordre, parcoururent divers pays et arrivèrent dans celui de Kâçmir. Un homme riche y avait fait creuser un lac extrêmement grand dans lequel il n’y avait pas d’eau. Par la suite, (on entendit) une voix aérienne (qui disait) : Si un homme supérieur livre son corps en offrande, alors il y aura de l’eau dans l’étang ; autrement, il n’y aura pas d’eau. — Après avoir entendu cette voix divine, ce riche personnage fit (faire) un homme en or et du poids de dix charges qu’il tint en garde près de l’étang, et fit graver à cet endroit sur le roc la phrase suivante : Celui qui livrera son corps en offrande, je lui donnerai cet homme en or. — De tous ceux qui, venant de différents côtés, passèrent par là, nul ne consentit à livrer son corps en offrande. N’étant pas de force à le faire, ils reculaient.

« Les serviteurs du roi Vikramâditya, après avoir vu tout cela, rentrèrent dans la ville d’Avantî et en rendirent compte au roi. Quand le roi eut entendu toute cette histoire, sa curiosité fut éveillée ; il se rendit au pays de Kâçmir, alla un soir au bord du lac sous un déguisement et fit ses dévotions mentales à sa divinité préférée. Après quoi, au milieu de la nuit, le roi Vikramâditya, faisant l’anjali[1], dit : Hé ! divinité, après m’être humilié devant toi, je te le déclare : que cette divinité, qui ne se rassasie qu’en buvant le sang d’un sacrifice humain, boive mon sang et soit satisfaite ! — À ces mots, il se coupa la tête. Aussitôt la divinité remit la tête sur le corps et dit : Hé ! roi, je suis propice envers toi ; demande (moi) ce que tu désires. — Le roi répondit : Hé ! divinité, si tu es contente de moi, remplis donc ce lac d’eau pour rendre service à tous les êtres ! — La divinité reprit : Ô Vikramâditya, ta fidélité au devoir est extrême ; je t’accorde cette faveur. — À ces mots, elle disparut, et le roi retourna dans son pays.

« Le (lendemain) matin, les gens du pays de Kâçmir furent bien surpris de voir le lac plein d’eau. »

La septième figure ajouta : « Hé ! roi Bhoja, voilà comment le roi Vikramâditya rendait service à tous les êtres : si tu as une qualité semblable, tu es digne de t’asseoir sur ce trône. » En entendant ces mots, le roi Bhoja, comprenant qu’il n’y avait pas en lui un pareil principe d’action pour le bien de tous les êtres, fut tout déconcerté ce jour-là.


  1. Voir pages 46 (note 4) et 58 (l. 6 et 7).