Contes populaires d’Afrique (Basset)/11
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LES DEUX FRÈRES, LA MARMITE ET LE BÂTON[1]
l y avait deux frères : l’un était pauvre, l’autre avait du bien. Le premier avait quatre filles : le riche était sans enfants.
Le pauvre coupait du bois qu’il vendait à la ville
et apportait à ses enfants de quoi manger. Un
jour, c’était jour de fête ; il n’avait chez lui rien
à manger. Il partit couper du bois. Un jujubier
sauvage lui dit :
— Que me veux-tu aujourd’hui ? C’est fête et j’invoque Dieu.
— J’ai faim, dit le bûcheron ; donne-moi de quoi manger, sinon je te coupe.
— Prends cette marmite, répondit le jujubier ; garde-la ; elle te nourrira jusqu’à ta mort. Quand tu voudras quelque chose, dis-le-lui ; elle te le donnera.
Le bûcheron emporta la marmite chez lui, la tourna par terre et lui dit :
— Donne-moi du bien.
— Voilà, dit-elle.
Il vit beaucoup d’argent et acheta des habits pour ses enfants. Une de ses filles alla chez son oncle et lui dit :
— Il y a chez nous une marmite remplie de richesses.
Le frère alla chez le bûcheron.
— Donne-moi la marmite que tu possèdes pour que je nourrisse mes hôtes.
— Je ne te la donnerai pas, car c’est elle qui fait vivre mes enfants.
— Si tu ne me la donnes pas, je te tue.
Le bûcheron eut peur, la lui donna et se mit à pleurer.
— Demeurez en paix, dit-il à ses enfants ; je vais errer dehors ; vous ne le saurez qu’à mon retour.
Il partit, resta dehors pendant trois mois sans revenir à la ville. La fête arriva, il alla au jujubier sauvage, apporta une hache tranchante et le frappa. Une femme en sortit, le salua et dit :
— Pourquoi n’es-tu pas rassasié ?
— Me voici, dit-il ; la marmite que tu m’as donnée m’a été prise par mon frère ; je n’ai pas pu l’en empêcher.
— Attends-moi ici, dit-elle ; puis elle rentra dans l’arbre et apporta un grand bâton. Quand tu seras près de la ville, tu t’arrêteras jusqu’à ce que les gens soient dans la mosquée ; alors lâche ton bâton et dis-lui :
— Prends mon droit à ceux qui m’ont lésé. Le bûcheron prit le bâton dans sa main et alla à la porte de la mosquée ; lorsque les gens sortirent de la prière, le bâton lui échappa et frappa tous les assistants sans exception. Chacun s’en retourna à la mosquée et les chefs dirent :
— L’injustice est descendue dans la ville ; Dieu pèse sur nous ; que celui qui a été lésé se présente ; nous lui rendrons son dû.
— Le propriétaire du bâton est à la porte de la mosquée et pleure, dit quelqu’un.
— Entre, lui dit-on ; indique-nous celui qui t’a pris ton bien.
— C’est mon frère qui m’a enlevé de force ma marmite.
— Demande ce que tu veux.
— Rendez-moi ma marmite et partagez la fortune de mon frère entre lui et moi, car j’ai des enfants et il n’en a pas.
On lui donna ce qu’il voulait, et l’on invoqua Dieu qui envoya une forte pluie parce que la justice avait triomphé.
- ↑ René Basset, Nouveaux Contes populaires berbères. Paris, 1897, in-18. E. Leroux, p. 93-95.