Contes populaires d’Afrique (Basset)/42

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E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 118-120).

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MOULEY YAQOUB ET SON FILS[1]


Le sultan Mouley Vaqoub ben Mansour régnait dans le Maghreb. Un jour vint à lui un serviteur de Sidi Bel Abbès es Sebti qui lui demanda sa fille en mariage. Le sultan lui répondit :

— Si ton but est d’épouser ma fille, apporte-moi une pierre comme celle-ci.

C’était un rubis Le serviteur alla sur-le-champ chez son maître Sidi Bel Abbès et lui raconta ce qui s’était passé entre lui et le sultan. Le cheikh lui ordonna d’aller à la rivière et de lui rapporter autant de pierres qu’il pourrait, semblables à celle qu’il avait vue dans la maison du prince. Le disciple obéit et toutes ces pierres rapportées de la rivière devinrent des rubis. Quand le roi vit cela, il lui donna en mariage sa fille Sâfyah. La nuit des noces, le disciple entra chez son épouse ; le mur se fendit ; son maître Sidi Bel Abbès entra par là et dit à son disciple :

— Si tu as pour but ce bas-monde, tu y es ; mais si tu as l’autre pour but, suis-moi.

Alors le mari abandonna sa femme et partit en compagnie du cheikh. Le lendemain elle écrivit à son père une lettre pour lui demander de venir chez elle. Quand il fut arrivé, elle lui dit :

— Tu n’es pas roi.

Et elle lui raconta ce qu’avait fait son mari et le maître de celui-ci. Au matin, le sultan ordonna de prendre ce qu’il avait amassé dans son trésor ; il confia le gouvernement à un fils qu’il avait, appelé Es Soltân el Akh’al et se voua à l’abstinence des choses de ce monde. Sa fille Sâfyah le suivit. Ils se rencontrèrent un jour dans le désert et ils vinrent ensemble dans la ville de Tlemcen.

Mouley Yaqoub ben Mansour raconta que la dame qu’il avait avec lui était sa femme, et il se mit à fabriquer des matelas pendant l’espace de deux ans. À cette époque, régnait à Tlemcen un roi nommé El Ablaq el Fertas. Un jour, les voisins de Mouley Yaqoub ben Mansour allèrent tous chez le roi et lui dirent :

— Le matelassier a une femme douée de beauté et de grâce ; ordonne-lui de la répudier et tu l’épouseras.

Le sultan de Tlemcen lui envoya exposer ces paroles. Quand le matelassier l’apprit, il jura qu’il ne répudierait jamais sa femme. Mais comme le prince insistait, il demanda un délai de trois jours pour délibérer. Dans l’intervalle il écrivit un billet à son fils qui résidait dans la capitale, lui demandant de venir avec ses soldats. Quand il fut arrivé à Tlemcen, il entoura la ville, lui ordonna de tuer son roi et elle le tua. Puis il emmena son père et sa sœur Sâfyah ; il alla trouver le prophète de Dieu Youcha (Josué), bâtit la muraille autour de son tombeau et, après avoir égorgé quarante taureaux, il partit pour sa capitale avec son père et sa sœur. Quand ils furent entrés dans leur pays, le cheikh Sidi Bel Abbès vint les trouver avec son disciple et ils le saluèrent. Puis le serviteur en question prit sa femme Sâfyah que précédemment Mouley Yaqoub lui avait donnée en mariage.



  1. René Basset, Néidromah et les Traras, Paris, Leroux, 1901, in-8, p. 205-209.