Contes populaires d’Afrique (Basset)/84

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E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 202-207).
XL. — GAN OU AKKRA[1]

84

LES ESPRITS DANS LE TROU DE RATS[2]


Une fois, il y eut une famine dans le pays. Alors l’araignée s’en alla avec son petit hors de la brousse pour chercher des noix sous une vieille muraille. Ils passèrent plusieurs semaines sans trouver une seule noix ; à la fin, la jeune araignée trouva une noix. Pleine de joie, elle la cassa, mais voici qu’elle tomba de sa main et roula dans un trou de rat. La jeune araignée n’était pas disposée à laisser disparaître son butin, mais elle descendit dans le trou de rat pour chercher sa noix perdue.

Alors trois Esprits se présentèrent à elle : un blanc, un rouge et un noir, qui, depuis la création du monde, ne s’étaient jamais lavés ni n’avaient rasé leur barbe. Ils lui dirent :

— Où vas-tu ? Que cherches-tu ?

Alors la jeune araignée leur raconta ses infortunes et dit qu’elle était venue dans le trou de rat pour chercher sa noix perdue. Les trois Esprits lui dirent :

— Tu entreprends tant que cela pour aussi peu de chose qu’une noix !

Alors ils déterrèrent des yams de leur champ et lui en apportèrent une quantité en disant :

— Écorce ces yams, fais cuire les écailles, mais ne jette pas le bon.

La jeune araignée obéit, prépara les écailles et voici qu’elles se changèrent en yams énormes.

La jeune araignée resta là pendant trois jours et devint très grasse. Le quatrième jour, elle demanda aux Esprits la permission de porter un peu des précieux yams à ses compagnons d’infortune. Les Esprits lui accordèrent sa demande et la congédièrent avec une grande corbeille pleine de yams. Ils l’accompagnèrent pendant un bout de chemin et, avant qu’elle ne prît congé d’eux, ils lui dirent :

— Tu es maintenant notre amie ; c’est pourquoi nous voulons te confier quelque chose. Nous voulons t’apprendre une maxime, mais ne la révèle à personne. Alors ils commencèrent :

Esprit blanc, hoho !

Esprit rouge, hoho !

Esprit noir, hoho !

Si ma tête était foulée aux pieds.

Que m’arriverait-il ?

La tête, il la jette :

Le pied, il le jette ;

La tête, il la jette ;

Toi, tu as offensé le grand fétiche.

Ainsi chantèrent les Esprits ; alors ils congédièrent l’araignée. Lorsqu’elle arriva chez elle et qu’elle montra les yams, son père convoqua tous ses amis et chacun d’eux manifesta sa joie. Ils mangèrent tous avec le plus grand plaisir des yams apportés et devinrent très gros. Alors la jeune araignée allait toujours chercher une nouvelle provision au trou de rat où habitaient les Esprits qui n’étaient pas lavés. À la fin, le père de la jeune araignée, tourmenté par la curiosité, lui offrit un jour de l’accompagner à l’endroit d’où elle rapportait de si beaux yams. La jeune araignée ne voulut rien entendre, car son père n’avait pas de moyens d’existence. La vieille araignée ne voulut pas renoncer à son projet, mais pendant la nuit, tandis que la jeune araignée dormait, le père fit un trou à son sac et le remplit de cendres.

Quand le lendemain, elle se mit en route avec le sac, son père suivit secrètement sa trace qui lui était indiquée par la cendre et la rejoignit devant la ville.

— Bien, dit la jeune araignée, je vois que tu veux y aller à ma place. Fort bien ! va, je m’en retourne. Mais père, fais attention à ne pas trop parler et à jouer l’homme sage.

Alors la jeune araignée s’en alla, mais son père lui cria :

— Soigne-toi bien ! et il pénétra tout droit dans le trou de rats.

Alors les Esprits allèrent à sa rencontre et lui demandèrent ce qu’il voulait. À peine l’araignée les eut-elle vus qu’elle éclata de rire et s’écria :

— Oh ! ces fous qui ne sont pas lavés ! Venez ; dois-je raccourcir vos barbes en broussailles ?

— Veux-tu peut-être nous apprendre la sagesse ? s’écrièrent les Esprits irrités ; et que cherches-tu surtout ici ?

Alors l’araignée leur apprit qu’elle était venue chercher des yams pour elle et ses compagnons. Là dessus, ils lui en apportèrent et lui dirent :

— Écorce-les et fais cuire les écailles.

L’araignée se mit à rire et pensa : je serais un vrai sot !

Elle plaça les yams sur le feu, mais ils ne voulurent rien donner. À la fin, elle suivit le conseil des Esprits ; elle plaça sur le feu, non les yams, mais les écailles et elles se changèrent en fruits magnifiques.

Après que l’araignée fut restée quelque temps chez les Esprits, elle dit :

— Maintenant, je veux m’en aller.

Alors les Esprits lui donnèrent un grand panier plein de yams, l’accompagnèrent un bout de chemin et, avant de se séparer d’elle, ils lui enseignèrent la maxime qu’ils avaient enseignée à la jeune araignée, mais ils lui recommandèrent de ne jamais la chanter. Au mépris de la défense, l’araignée se mit à la chanter aussitôt. Comme les Esprits se taisaient, elle pensa qu’ils avaient seulement murmuré un ancien chant de leur patrie.

À peine s’était-elle séparée des Esprits, hors du trou de rat, qu’elle se mit à chantera haute voix :

Esprit blanc, hoho !

Esprit rouge, hoho !

Esprit noir, hoho ! etc.

Aussitôt, une violente douleur la saisit ; elle s’affaissa. C’était comme si sa tête, ses jambes et ses mains étaient coupées, mais son chant continuait encore. Pleins de compassion, les Esprits l’éveillèrent de ce mauvais songe, mais elle chanta de nouveau. Alors elle tomba avec ce rêve effrayant devant les yeux. De nouveau, les Esprits l’éveillèrent ; mais lorsque pour la troisième fois elle recommença le chant défendu, les Esprits lui enlevèrent les yams et la cravachèrent. Les habitants de la ville se réjouirent au commencement, lorsque l’araignée revint, mais quand ils entendirent son récit, ils la chassèrent irrités.




  1. La langue gan est parlée dans la colonie anglaise de la Côte-d’Or.
  2. Zimmermann, Grammatical Sketch of the akra or Gâ language, Stuttgart, 1895, in-8, p. 193-200.