Contes secrets Russes/La femme de l’aveugle

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 51-52).

XXVIII

LA FEMME DE L’AVEUGLE


Un gentilhomme étant devenu aveugle, son épouse en profita pour nouer une intrigue avec un clerc de chancellerie. L’idée vint au mari que peut-être sa femme le trompait, et dès lors il ne la quitta plus d’une semelle. Que faire ? Un jour que les deux époux étaient allés au jardin, le clerc s’y rendit aussi ; la femme eut envie de faire l’amour et, tandis que le gentilhomme était assis sous un pommier, elle s’abandonna à son amant. Un voisin, dont la fenêtre donnait sur le jardin, fut témoin de cette scène et dit à sa femme : « Regarde un peu, mon âme, ce qui se passe près du pommier. Eh bien ! supposons qu’en ce moment Dieu ouvre les yeux à l’aveugle et qu’il voie cela, qu’arrivera-t-il alors ? Sans doute il la tuera. — Sois tranquille, mon ami, la gaillarde trouvera bien un moyen de se tirer d’affaire. — Quel moyen veux-tu qu’elle trouve ? — Tu le verras, si le cas se produit. » Le Seigneur permit justement que le gentilhomme aveugle recouvrât la vue au moment où son honneur de mari recevait cet accroc. Surprenant les deux coupables en flagrant délit, il se mit à crier : « Ah ! coquine que tu es ! Qu’est-ce que tu fais, maudite putain ! — Ah ! que je suis contente, mon chéri ! » répondit la dame. « Vois-tu, cette nuit j’ai entendu une voix qui me disait : Pèche avec tel clerc de chancellerie, et le Seigneur ouvrira les yeux à ton mari. Voilà que cette parole s’est réalisée ! Grâce à moi, Dieu t’a rendu la vue ! »