Contes secrets Russes/La jeune fille peureuse

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 26-31).

XV

UNE JEUNE FILLE PEUREUSE


Deux jeunes paysannes causaient ensemble. « … Comme toi, ma chère, je ne me marierai pas ! — Et quelle nécessité de nous marier ? Nous sommes nos maîtresses, après tout ! — As-tu déjà vu, ma chère, l’instrument avec lequel on nous traverse ? — Oui. — Eh bien, est-ce qu’il est gros ? — Ah ! ma fille, il y en a qui l’ont positivement de la grosseur du poing. — Mais cela doit vous tuer ! — Veux-tu, pour avoir une idée de la chose, que je te passe là seulement un fétu de paille ? » Celle à qui cette proposition était faite se coucha par terre, et son amie lui introduisit un brin de paille dans les parties génitales. « Oh, cela fait mal ! »

À quelque temps de là, le père d’une des deux jeunes filles l’obligea à prendre un époux. Quand elle eut passé deux nuits dans le lit conjugal, la nouvelle mariée vint voir son amie : « Bonjour, ma chère ! » L’autre se mit aussitôt à l’accabler de questions. « Eh bien ! » répondit la visiteuse, « si j’avais su ce que c’était, je n’aurais obéi ni à mon père, ni à ma mère. J’ai bien pensé que j’allais mourir, je t’assure que je n’en menais pas large ! » Ces paroles de la jeune femme effrayèrent tellement son interlocutrice, que celle-ci se jura de rester fille. « Je ne me marierai pas, » dit-elle, « à moins que mon père ne m’y contraigne en employant la force, et encore, dans ce cas, je ne me marierai que pour la forme, j’épouserai un homme incomplet ».

Or, il y avait dans ce village un gars extrêmement pauvre ; il était trop gueux pour pouvoir prétendre à un beau parti et néanmoins il ne voulait pas se mal marier. Ayant surpris la conversation qu’on vient de lire, ce jeune homme résolut d’en profiter : « Quand j’aurai l’occasion de parler à cette sotte, je lui dirai que je n’ai pas de υιτ, » décida-t-il. Justement, tandis que la jeune fille allait à la messe, elle aperçut le gars qui menait sa maigre rosse à l’abreuvoir ; la pauvre bête bronchait à chaque pas, si bien que la paysanne riait à se tordre. Au moment où le cheval commençait à gravir une colline escarpée, il s’abattit et roula en bas de la montée. Furieux, le gars saisit l’animal par la queue et se mit à le battre impitoyablement : « Relève-toi, que je t’écorche ! » vociférait-il. — « Pourquoi maltraites-tu ainsi ta jument, scélérat ? » demanda la jeune fille. Il leva la queue de son cheval et, les yeux fixés sur l’endroit qu’il venait de découvrir, répondit : « Que faire avec elle ? Je la φουτραις bien, mais je n’ai pas de υιτ ! » En entendant ces mots, la paysanne pissa de joie et se dit : « Voilà l’époux que le Seigneur me destine en récompense de ma simplicité ! » Elle revint chez elle, alla s’asseoir dans le coin le plus éloigné de la porte et ne desserra pas les lèvres. Tout le monde se mit à table pour dîner, on l’appela, elle répondit d’un ton fâché : « Je n’ai pas faim ! — Qu’est-ce que tu as, Douniouchka ? » demanda la mère. — « Allons, pourquoi boudes-tu ainsi ? Tu veux peut-être te marier ? » fit à son tour le père. La jeune fille n’avait en tête que d’épouser le gars privé de υιτ. — « Si je me marie avec quelqu’un, ce ne sera qu’avec Ivan ; que vous consentiez ou non à me le laisser épouser, je ne serai jamais la femme d’un autre, » déclara-t-elle à ses parents. — « À quoi penses-tu, sotte ? Est-ce que tu as perdu l’esprit ? Avec lui, tu seras réduite à la mendicité ! — Sans doute, c’est ma destinée ! Si vous ne voulez pas me le choisir pour époux, j’irai me jeter à l’eau ou je me pendrai. »

Que faire ? Le vieillard qui, jusqu’alors, n’avait jamais admis en sa présence ce pauvre diable d’Ivan, alla lui-même lui offrir la main de sa fille. En entrant, il trouva le jeune homme occupé à raccommoder une vieille chaussure de tille. « Bonjour, Ivanouchka ! — « Bonjour, vieux ! — Qu’est-ce que tu fais-là ? — Je suis en train de raccommoder mes chaussures. — Des chaussures de tille ? tu devrais mettre des bottes neuves. — C’est à grand peine que j’ai pu réunir quinze kopeks pour acheter de la tille : comment me procurerais-je des bottes ? — Mais pourquoi ne te maries-tu pas, Vania ? — Qui est-ce qui me donnerait sa fille en mariage ? — Si tu veux, je te donnerai la mienne. Embrasse-moi sur la bouche ! »

Ce fut une affaire conclue. La noce fut célébrée en grande pompe et, après un plantureux repas, le garçon d’honneur conduisit les deux époux à la chambre nuptiale où il les laissa. Ivan montra aussitôt à sa femme que rien ne lui manquait. « Sotte, bête que je suis ! » pensa Dounia, quand elle eut reçu des preuves sensibles de la virilité de son mari ; « j’en ai fait une belle ! Puisque cela devait m’arriver, autant valait épouser un homme riche ! Mais où s’est-il procuré un υιτ ? Il but que je le sache ! » Et s’adressant à son époux : « Écoute,

Ivanouchka, » lui dit-elle, « où as-tu pris ce υιτ ? — Je l’ai emprunté pour une nuit à mon oncle. — Ah ! chéri, prie-le de te le prêter encore pour une petite nuit ! »

La nuit suivante, la jeune femme remit la conversation sur ce sujet : « Ah ! chéri, demande à ton oncle s’il ne pourrait pas te vendre son υιτ ; mais marchande bien. — Soit, j’essaierai de l’acheter. » Il alla chez son oncle, lui donna le mot et revint trouver sa femme. « Eh bien ? » interrogea-t-elle. « — Qu’est-ce que je te dirai ? je n’ai pas pu m’arranger avec lui ; il ne veut pas s’en défaire à moins de trois cents roubles, et c’est un prix qui dépasse mes moyens ; où prendre une pareille somme ? — Eh bien, va lui demander de te le prêter encore pour une nuit ; demain, je me ferai donner de l’argent par mon père, et nous achèterons cela. — Non, vas-y toi-même ; moi, vraiment, ça me gênerait ! » Dounia se rendit chez l’oncle ; en entrant dans l’izba, elle pria Dieu, et fit une révérence. « Bonjour, mon petit oncle ! — Bonjour ! Quelle bonne nouvelle ? — Je suis honteuse, mon petit oncle, de la démarche que je fais auprès de vous, mais, il n’y a pas à le cacher, je suis venue vous prier de prêter encore votre υιτ à Ivan pour une petite nuit. »

L’oncle réfléchit, inclina la tête et répondit : Je puis le prêter, seulement il faut avoir soin d’un objet qui ne vous appartient pas. — Nous en aurons soin, mon petit oncle ; tiens, voici ma croix ! Et demain, sans faute, nous te l’achèterons. — Eh bien, tu m’enverras Ivan ! » Elle le salua alors jusqu’à terre et retourna chez elle. Le lendemain elle alla trouver son père, se fit donner par lui trois cents roubles et s’acheta un υιτ sérieux.