Contes secrets Russes/La renarde et le lièvre

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 1-3).

CONTES SECRETS RUSSES

I

LA RENARDE ET LE LIÈVRE


Le printemps était arrivé et fouettait le sang d’un lièvre qui, bien que peu vaillant, se donnait des airs gaillards. Il alla dans un bois et s’avisa de faire visite à une renarde. Celle-ci, au moment où il s’approchait de son terrier, se trouvait sur le poêle et ses enfants étaient près de la fenêtre. Apercevant le lièvre, elle leur dit : « Allons, mes enfants, si le louche vient me demander, répondez que je ne suis pas chez moi. Voyez-vous, c’est le diable qui l’amène ! Il y a longtemps que j’en veux à ce drôle ; à présent peut-être je le pincerai de façon ou d’autre. » Là-dessus, la renarde se cache. Le lièvre arrive et frappe à la porte. « Qui est là ? » demandent les renardeaux. — « C’est moi, » dit le visiteur ; « bonjour, chers petits ! Votre mère est-elle à la maison ? — Elle n’y est pas ! — C’est dommage ! Moi qui venais pour la besogner… et elle n’est pas chez elle ! » reprit le lièvre ; sur ce, il s’élança dans le bois.

La renarde avait tout entendu : « Ah ! fils de chienne, diable louche, » vociféra-t-elle, « attends un peu, effronté, je te ferai payer cher ton impudence ! » Elle descendit du poêle et se mit aux aguets derrière la porte, pensant que le lièvre ferait peut-être une nouvelle apparition. En effet, il ne tarda pas à revenir. « Bonjour, petits ; votre mère est-elle chez elle ? » demande-t-il aux renardeaux. — « Elle n’y est pas ! — Tant pis, » reprend le lièvre ; « je l’aurais régalée à ma façon ! » Soudain la renarde surgit devant lui : « Bonjour, mon cher ! » Le lièvre détale au plus vite, il court à perdre haleine, semant des crottes sur son chemin. La renarde le poursuit. « Non, diable louche, tu ne m’échapperas pas ! » Voilà qu’elle va l’atteindre ! Le lièvre fait un bond et saute au travers de deux bouleaux très rapprochés l’un de l’autre. La renarde veut l’imiter, mais elle reste prise entre les deux arbres, il ne lui est plus possible ni d’avancer ni de reculer, vainement elle s’épuise en efforts pour reconquérir sa liberté. Le louche regarde derrière lui, il voit ses affaires en bon train, revient vivement sur ses pas et prend son plaisir avec la renarde. « Voilà notre genre à nous autres, voilà notre manière », répète-t-il. Après avoir bien besogné, il se remet précipitamment en route.

Non loin de là se trouvait une fosse à charbon : un paysan y avait fait du feu. Le lièvre court se vautrer dans la poussière noire, ce qui lui donne l’air d’un vrai moine. Ensuite il va rejoindre la route et se tient coi, l’oreille basse. Sur ces entrefaites, la renarde, qui avait enfin réussi à se dégager, s’était mise à la recherche du lièvre ; en l’apercevant, elle le prit pour un religieux : « Bonjour, saint père, » dit-elle, « n’as-tu pas vu quelque part un lièvre louche ? — Lequel ? celui qui t’a φουτυε tantôt ? » La renarde rougit de honte et retourna chez elle à la hâte. « Ah ! le coquin, » se disait-elle, « il a déjà répandu la chose dans tous les monastères ! » Quelque rusée que fût la renarde, le lièvre lui dama le pion !