Contes secrets Russes/Le bon pope

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 239-240).

LXXIV

LE BON POPE


Un pope loua un ouvrier, le ramena chez lui et lui dit : « Allons, travailleur, fais bien ton service, je ne t’abandonnerai pas. » L’ouvrier était là depuis huit jours quand arriva le moment de la fauchaison. « Allons, mon ami », lui dit le pope, « si Dieu le permet, nous passerons une bonne nuit et demain matin, nous irons faucher le foin. — Bien, batouchka ! » Le lendemain ils se levèrent de bonne heure. Le pope dit à sa femme : « Donne-nous à déjeuner, matouchka, nous devons aller faucher le foin dans la campagne. » L’épouse du pope mit la table. Le prêtre et l’ouvrier s’assirent et déjeunèrent copieusement. Puis le premier dit au second : « Par la même occasion, mon cher, nous allons dîner et nous faucherons sans interruption jusqu’à midi. — Comme il vous plaira, batouchka ; soit, dînons. — Sers-nous à dîner, matouchka », ordonna le pope à sa femme. Elle obéit et ils se remirent à manger. « Puisque nous sommes à table », dit ensuite le pope à l’ouvrier, « si tu veux, mon cher, nous allons goûter et nous faucherons jusqu’à l’heure du souper. — Comme vous voudrez, batouchka ; soit, goûtons. » La femme du pope servit le goûter auquel les deux hommes firent largement honneur. « Au fait, si du même coup nous soupions ? » observa ensuite l’ecclésiastique ; « nous passerons la nuit dans la campagne et demain nous pourrons nous mettre à l’ouvrage plus tôt. — Volontiers, batouchka. » La femme du pope leur servit à souper. Après ce repas, ils se levèrent de table. L’ouvrier prit son sarrau et se disposa à se retirer. « Où vas-tu, mon cher ? » lui demanda le pope. — « Comment, où je vais ! Vous savez vous-même, batouchka, qu’après le souper il faut aller se coucher. » Il se rendit à la remise et dormit jusqu’au lendemain matin. Depuis lors, le pope ne s’avisa plus de régaler en une seule fois son ouvrier d’un déjeuner, d’un dîner, d’un goûter et d’un souper.