Contes secrets Russes/Le cochon de lait

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 93-97).

XLI

LE COCHON DE LAIT


Dans un village vivait un pope fort bête, mais il avait une fille si belle que c’était un plaisir de la contempler. Voilà que le pope prit à son service un ouvrier. Ce dernier était un solide gars. Il se trouvait depuis trois mois chez l’ecclésiastique, lorsque la femme d’un riche paysan vint à accoucher. Le mari invita le pope à aller baptiser le nouveau-né et à assister au repas qui devait être donné à cette occasion. « Je vous en prie, batouchka, » ajouta-t-il, « amenez-nous aussi votre femme. » On sait que les gens d’église se régalent volontiers à la table d’autrui. Le pope attela donc sa charrette et partit avec sa femme, hissant chez lui sa fille en compagnie de l’ouvrier. Celui-ci eut faim et justement il y avait à la maison deux cochons de lait que la popadia avait fait cuire. « Écoute ce que je vais te dire, » commença l’ouvrier en s’adressant à la fille de son maître, « mangeons ces cochons de lait puisque nous sommes seuls ici. — Soit. » Il alla aussitôt chercher un des cochons de lait et le mangea avec la jeune fille. « Quant à l’autre, » dit-il ensuite, « je vais le cacher sous ta robe, pour qu’on ne le trouve pas, et plus tard nous le mangerons aussi. Si le pope et la popadia nous questionnent au sujet des cochons de lait, nous répondrons tous les deux que le chat les a mangés. — Mais comment donc le cacheras-tu sous ma robe ? — Ce n’est pas ton affaire ! Je sais comment. — Allons, c’est bien, cache-le ! » Il ordonna à la jeune fille de se baisser, la retroussa et lui mit son υιτ au κον. « Ah ! que tu le caches bien ! » dit-elle, « mais comment le retirerai-je de là ? — Sois tranquille, tu n’auras qu’à lui présenter de l’avoine, et de lui-même il sortira. »

Bref, l’ouvrier besogna si bien la fille du pope que, du coup, elle devint enceinte ; son ventre commença à s’arrondir ; à chaque instant elle allait à la cour ; l’enfant remuait dans son sein et elle croyait que c’était le cochon de lait ; elle venait sur le perron, levait la jambe et répandait de l’avoine par terre en disant : « Tchoukh, tchoukh, tchoukh ! » « Il sortira peut-être, » pensait-elle, « si je l’appelle ainsi. » Un jour le pope s’aperçut de la chose et il eut à ce sujet une conversation avec sa femme : « Notre fille est grosse, demandons-lui avec qui elle a succombé aux artifices du malin. » Les parents appelèrent leur fille : « Annouchka, viens ici ! Qu’est-ce que tu as ? Pourquoi es-tu si alourdie ? » Elle regarda son père et sa mère sans leur répondre. « Qu’est-ce qu’ils me demandent ? » pensait-elle. « Allons, parle : comment se fait-il que tu sois enceinte ? » Nouveau silence de la jeune fille. « Mais réponds donc, imbécile : d’où vient que tu as une si grosse panse ? Ah ! maman, j’ai un petit cochon dans le ventre, c’est l’ouvrier qui me l’a mis ! » À ces mots, le pope se frappa le front et s’élança à la recherche de l’ouvrier, mais celui-ci n’avait pas attendu ce moment pour disparaître de la maison[1].


  1. Variante. — Le pope avait une truie pleine. Après le départ de l’ecclésiastique et de sa femme, elle mit bas et donna le jour à onze petits. « Notre truie a fait des jeunes ! » s’écria la fille du pope ; « ah, comme je désirais avoir un cochon de lait ! — Eh bien quoi ? » dit l’ouvrier ; « prenons-en un, nous le tuerons et nous le ferons rôtir. — Mon père le saura. — Allons donc, comment le saura-t-il ? Parce qu’il est pope, n’est-ce pas ? Une truie n’a pas toujours le même nombre de petits : c’est tantôt six, tantôt dix ou plus. » Ils prirent un des cochons de lait, le tuèrent et, après l’avoir échaudé, le placèrent sur une lèchefrite qu’ils mirent dans le poêle. Bientôt toute la maison fut remplie de fumée. Pendant ces opérations culinaires, la jeune fille et l’ouvrier aperçurent tout à coup le pope qui revenait chez lui : quel diable le ramène ? que faire ? où mettre le cochon de lait ? « Passe ta tête par la fenêtre, » dit l’ouvrier à la fille du pope, « et regarde si ton père est encore loin, moi, je cacherai la bête. » Tandis qu’elle se penchait à la croisée, l’ouvrier fourra le cochon de lait sous une natte ; ensuite il ôta son pantalon, et releva la robe de la jeune fille. « Qu’est-ce que tu fais ? — Je cache là le cochon ! Personne ne l’y trouvera. » Au cours de l’opération, la pauvrette pousse des cris de douleur : « Ah ! que cela fait mal ! Je suis sûre que je saigne ! — Prends patience, je le cache comme je peux. » Arrive le pope : « Pourquoi y a-t-il tant de fumée dans l’izba ? — C’est, sans doute, qu’il y avait un fumeron dans le poêle, » répondit l’ouvrier ; « voyez, votre fille s’est brûlée, elle a complètement changé de visage. » Dès ce moment la jeune fille devint enceinte. Sentant l’enfant qui s’agitait dans son sein, elle dit à l’ouvrier : « Sais-tu une chose ? le cochon de lait que tu m’as fourré dans le ventre, y est revenu à la vie ! — Vraiment ? — Je te l’assure ! Il se remue tellement ! — Eh bien ! on peut le faire sortir en lui présentant du pâté. » La fille du pope prit un restant de pâté, alla à la remise où se trouvait la charrette et, mettant son pied gauche sur la roue, Cria : « Tchoukh, tchoukh, tchoukh ! »