Contes secrets Russes/Le pope, sa femme, sa fille et son ouvrier

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 88-93).

XL

LE POPE, SA FEMME, SA FILLE ET SON OUVRIER


Un pope se disposait à prendre un ouvrier : « Aie soin, pope, » lui recommanda sa femme, « de ne pas engager un homme qui tienne des propos orduriers ; nous avons une fille nubile ! — C’est bien, mère, j’y ferai attention. » L’ecclésiastique se mit en route avec sa charrette. Au devant de lui se présenta un jeune homme qui cheminait pédestrement. « Bonjour, batouchka ! — Bonjour, mon ami ! Où vas-tu ? — Je voudrais me louer comme ouvrier, batouchka. — Et moi, mon cher, justement je cherche un ouvrier ; veux-tu entrer à mon service ? — Volontiers, batouchka. — Seulement, c’est à une condition : il faut, mon cher, que tu t’abstiennes de toute parole déshonnête. — Batouchka, je n’en ai même jamais entendu prononcer depuis que j’existe. — Eh bien ! prends place à côté de moi, tu es l’homme qu’il me faut. » Une jument était attelée à la charrette ; le pope lui releva la queue et montrant avec son fouet la vulve de la jument : « Qu’est-ce que c’est que cela, mon cher ? — C’est un κον, batouchka. — Eh bien, mon cher, je n’ai pas besoin de gens aussi mal embouchés ; va où tu veux ![1] » Le gars vit qu’il avait lâché une sottise, mais le mal était fait ; il descendit de la charrette et se mit à chercher par quelle ruse il pourrait jobarder le pope. Prenant un chemin de traverse, il devança l’équipage du batouchka, qui bientôt le retrouva sur son passage. Le jeune homme avait retourné sa pelisse. « Bonjour, batouchka ! » dit-il. — « Bonjour, mon cher ! où vas-tu ? — Eh bien ! voici, batouchka, je vais me louer comme ouvrier. — Et moi, mon cher, justement je cherche un ouvrier, viens demeurer chez moi, mais à la condition que tu ne proféreras aucune parole indécente ; celui de nous deux qui lâchera un mot obscène devra payer cent roubles à l’autre ; cela te va-t-il ? — Soit, batouchka ; moi-même je ne puis souffrir les gens qui disent de telles paroles ! — Eh bien, tant mieux ! Assieds-toi à côté de moi, mon cher ! » Le jeune homme obéit et la charrette reprit la route du village. Quand on eut fait un bout de chemin, le pope releva la queue de sa jument dont il montra la vulve avec le manche de son fouet : « Qu’est-ce que c’est que cela, mon cher ? » demanda-t-il. — « C’est une prison, batouchka. — Ah ! mon cher, j’ai trouvé en toi l’ouvrier que je cherchais ! » Arrivé à sa demeure, le pope y entra avec son compagnon, releva la robe de sa femme et, montrant du doigt le κον, demanda : « Et cela, qu’est-ce que c’est, mon cher ? — Je ne sais pas, batouchka ! Je n’ai jamais vu de ma vie une chose si terrible ! — N’aie pas peur, mon cher ! C’est aussi une prison. » Ensuite il appela sa fille, la retroussa et poursuivit, en attirant sur le κον les yeux de l’ouvrier : « Et cela qu’est-ce que c’est ? — Une prison, batouchka ! — Non, mon cher, c’est un violon »[2].

On se mit à table pour souper et, le repas fini, on se coucha. L’ouvrier grimpa sur le poêle, prit les chaussettes du pope, les passa à son υιτ et, tenant celui-ci dans ses deux mains, commença à crier de toutes ses forces : « Batouchka ! J’ai mis la main sur un voleur ! Allume vite une chandelle ! » Le pope se lève précipitamment et court, comme un enragé, à travers la chambre. « Ne le lâche pas, tiens-le bien ! » crie-t-il à l’ouvrier. — « Sois tranquille, il ne s’échappera pas ! » Le pope allume une chandelle et s’approche du poêle : il vit alors le gars qui tenait entre ses mains son υιτ enveloppé de chaussettes. « Le voilà, batouchka, il a chipé toutes tes chaussettes ; il faut le punir, le fripon ! — Voyons, tu as perdu l’esprit sans doute ! » demanda le pope. — « Non, batouchka, je n’admets pas l’indulgence à l’égard des voleurs ; lève-toi, matouchka, nous allons fourrer le coquin en prison. » La femme du pope se leva. « Mets-toi vite en position ! » continua l’ouvrier. Bon gré, mal gré, la popadia s’exécuta et le jeune homme s’empressa de la βαισερ. À cette vue, le pope vexé se permit une observation : « Qu’est-ce que tu fais, mon cher ? Tu φους ! — Ah ! batouchka, tu sais ce qui a été convenu entre nous au sujet des mots obscènes ; paye-moi cent roubles ! » Force fut au pope de délier les cordons de sa bourse ; quant à l’ouvrier, il empoigna de nouveau son υιτ et se remit à l’invectiver : « Ce n’est pas assez pour toi, canaille, de la détention que tu viens de subir, je vais te coffrer dans une prison encore pire. Allons, ma colombe, » ajouta-t-il en s’adressant à la fille du pope, « ouvre le cachot ». Il fit prendre à la jeune fille la pose voulue et procéda avec elle comme avec la mère. Celle-ci ne put se contenir : « Qu’est-ce que tu regardes, batouchka ! » dit-elle vivement à son mari, « il φουτ notre fille ! — Tais-toi, » lui répondit le pope ; « j’ai déjà payé cent roubles pour toi, veux-tu que j’en paie encore autant pour elle ? Non, qu’il fasse ce que bon lui semble, je ne dirai plus un mot ! » L’ouvrier s’en donna tout à son aise avec la jeune fille, après quoi, le pope le mit à la porte[3].


  1. Variante. — Le gars répondit naïvement : « En haut c’est un κυλ, et en bas un κον. — Eh bien ! mon ami, descends de la charrette et va te faire φουτρε. Je ne puis pas te ramener chez moi, ma femme ne nous laisserait pas entrer : elle déteste mortellement les gens qui disent des paroles ordurières. »
  2. Variante. — Le pope arriva chez lui avec l’ouvrier. La popadia, qui était assise sur un banc, releva sa robe, écarta ses jambes et dit au jeune homme : « Regarde, qu’est-ce que j’ai là ? » L’ouvrier feignit l’épouvante et fit mine de s’enfuir ; la femme du pope le retint : « De quoi as-tu peur, petit imbécile ? Ce n’est rien, vraiment. » Alors la fille du pope, relevant sa robe, demanda à l’ouvrier : « Et moi, qu’est-ce que j’ai ? » Tremblant de frayeur, le gars paraissait vouloir prendre la fuite. « Allons, » dit la femme du pope. « nous ne te ferons plus peur, mon cher, mais rappelle-toi ce que je vais te dire : j’ai entre les jambes une prison et ma fille a une prison encore pire : celui qui se rend coupable d’un vol ou de quelque autre méfait, c’est là que nous le mettons. »
  3. Variante. — L’ouvrier usa de finesse : il vola une cuiller d’argent et l’attacha à son υιτ avec un chiffon de tille. La femme du pope se mit à visiter le jeune homme, elle lui ôta son pantalon et découvrit la cuiller. « Ah ! » s’écria-t-elle en riant, « le diable t’a tenté ! Et pourtant je t’avais dit que le vol était puni de la prison ! — Mais moi-même, matouchka, je suis sans pitié pour les voleurs ; le coquin qui s’est rendu coupable d’un tel délit, il faut le mettre dans la pire des prisons ! » Le pope et sa femme comprirent ce que signifiaient ces paroles. « Pour la première fois, on peut pardonner, » répondirent-ils. — « Vous pardonnez, » reprit l’ouvrier, mais moi je ne pardonne pas, ma réputation en souffrirait ! Je vais fourrer le drôle dans la pire des prisons ! » À force de prières, d’instances, de supplications, les deux époux obtinrent la grâce du voleur : l’ouvrier consentit à ne point le fourrer dans la prison de la jeune fille et reçut en retour une somme de cent roubles. Ainsi finit l’histoire.