Contes secrets Russes/Le mari qui couve

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 42-44).

XXIV

LE MARI QUI COUVE


Un paysan paresseux était marié à une femme laborieuse. Le premier restait couché sur le poêle, tandis que la seconde labourait la terre. Un jour, la paysanne alla travailler aux champs, son mari demeura à la maison pour préparer le repas et donner à manger aux petits poulets, mais il n’en fit rien ; il se coucha et, pendant qu’il dormait, une corneille rafla tous les poussins ; leur mère remplit la basse-cour de ses cris désolés, le moujik la laissa s’égosiller. Quand la paysanne revint à la maison, elle demanda : « Où sont les poulets ? Qu’en as-tu fait ? — Ah, ma petite femme, il m’est arrivé un malheur ! Je me suis endormi et pendant ce temps-là une corneille a enlevé tous les poussins. — Ah, quel chien tu es ! Eh bien, fils de putain, mets-toi sur des œufs et couve-les toi-même. »

Le lendemain, la femme alla aux champs, le moujik prit une corbeille contenant des œufs, la plaça sur la soupente, ôta son pantalon et se mit sur les œufs. La paysanne, qui était une rusée commère, s’affubla d’un manteau et d’un bonnet empruntés à un ancien soldat, puis, sous ce déguisement, elle arriva à la maison et cria à plein gosier : « Eh, patron ! Où es-tu ? » Le paysan sauta à bas de la soupente et en même temps fit choir les œufs sur le parquet. « Qu’est-ce que tu fais ? — Monsieur le militaire, je garde la maison. — Mais est-ce que tu n’as pas de femme ? — Si, mais elle travaille dans les champs. — Et toi, pourquoi restes-tu au logis ? — Je couve des œufs. — Ah, fils de chien que tu es ! » Et les coups de fouet de pleuvoir sur la personne du moujik. « Ne reste pas à la maison, » continua le prétendu militaire, « ne couve pas d’œufs, mais travaille et laboure la terre ! — C’est ce que je ferai, batouchka, je travaillerai et je labourerai, je vous l’assure ! — Tu mens, drôle ! » et la femme se remit à battre son mari, après quoi, levant la jambe : « Regarde, fils de chien, » dit-elle, « j’ai été à la guerre et on m’a blessé, tu vois ; eh bien, est-ce que ma blessure pourra être guérie ? » Le moujik considéra le κον de sa femme et répondit : — « Elle se cicatrisera, batouchka. »

La paysanne sortit, alla reprendre les vêtements de son sexe et revint à la maison, où elle trouva son mari en train de gémir. — « Pourquoi geins-tu ? — Un soldat est venu tantôt et il m’a déchiré tout le corps à coups de fouet. — À cause ? — Il veut que je travaille. — Il y a longtemps que tu aurais dû être fouetté ! Je regrette de n’avoir pas été ici, je l’aurais prié de continuer. — Cela lui aurait été difficile, il est au plus bas ! — Comment cela ? — Il a été à la bataille et il a reçu une blessure entre les jambes… il me l’a montrée en me demandant si elle pourrait guérir. J’ai répondu : elle se cicatrisera, mais la plaie est fort rouge et il a poussé du poil tout autour ! » À partir de ce moment, le moujik se mit à cultiver la terre, et la femme garda la maison.