Contes secrets Russes/Non

La bibliothèque libre.
Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 40-42).

XXIII

NON


Un vieux barine était marié à une femme jeune et belle. Il arriva que ce gentilhomme eut à faire un long voyage ; craignant que son épouse ne paillardât avec quelqu’un, il lui dit : « Écoute, ma chère ! Je vais m’absenter pour longtemps, ne reçois chez toi aucun monsieur ; comme cela, ils ne t’ennuieront pas. Voici ce qu’il y a de mieux à faire : qui que ce soit qui te parle et quoi qu’on te dise, réponds toujours : Non ! Ne sors pas de là ! »

Là-dessus le mari se mit en route et la dame alla se promener au jardin. Tandis qu’elle en longeait la grille, vint à passer un officier à cheval. Voyant une si belle barinia, il lui adressa la parole : « Dites-moi, s’il vous plaît, comment s’appelle ce village ? » demanda-t-il. — « Non, » répondit-elle. Qu’est-ce que cela veut dire ? pensa l’officier. À toutes les questions qui lui furent posées, la dame s’obstina à répondre : « Non » ; mais son interlocuteur ne perdit point la carte. « Si, » dit-il, « je mets pied à terre et si j’attache mon cheval à la grille, cela ne vous fera rien ? — Non, » répondit la dame. — « Et si j’entre dans votre jardin, vous ne le trouverez pas mauvais ? — Non. » Il entra dans le jardin. « Et si je me promène avec vous, vous ne vous fâcherez pas ? — Non. » Il se mit à marcher à côté d’elle. — « Et si je vous prends le bras, cela ne vous irritera pas ? — Non. » Il lui prit le bras. — « Et si je vous conduis au kiosque, vous n’en serez pas mécontente ? — Non. » Il la mena au kiosque. — « Et si je vous couche par terre et que je m’étende moi-même à côté de vous, vous ne vous y opposerez pas ? — Non. » L’officier usa aussitôt de la permission, ensuite il reprit : « Et si je vous retrousse les jupons, cela, sans doute, ne vous mettra pas en colère ? — Non. » Il la retroussa, lui releva les jambes et poursuivit : — « Et si je vous βαισε, cela ne vous sera pas désagréable ? — Non. » Là-dessus il la besogna convenablement, puis il se coucha à côté d’elle et, un moment après, lui demanda : — « Maintenant, vous êtes contente ? — Non. — Eh bien ! si vous n’êtes pas contente, il faut recommencer. » Il la βαισα de nouveau et renouvela sa question : « Maintenant, vous êtes contente ? — Non. » Cette fois l’officier lança un jet de salive et s’en alla ; la dame se leva et regagna sa demeure.

Quand le barine revint de voyage, il demanda à sa femme : « Tout va bien chez toi ? — Non. » — Mais qu’est-ce qu’il y a ? Quelqu’un t’aurait-il βαισέε ? — Non. » Il eut beau l’interroger, il n’obtint jamais d’autre réponse que « non ». Force fut alors au barine de regretter les instructions qu’il avait données à sa femme.