Contes secrets Russes/Le paysan et le diable

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 46-47).

XXVI

LE PAYSAN ET LE DIABLE


Un paysan avait semé des navets. Quand il jugea venu le moment de les arracher, il se rendit dans son champ, mais les navets n’étaient pas encore levés. « Que le diable vous emporte ! » s’écria dans sa colère le moujik, et il retourna chez lui. Un mois après, sa femme lui dit : « Va donc voir s’il s’est pas temps de tirer les navets. » Le paysan alla de nouveau visiter son terrain, qu’il trouva cette fois couvert de navets superbes ; mais, au moment où il se disposait à les arracher, un petit vieillard s’élança tout à coup vers lui en criant : « Pourquoi voles-tu mes navets ? — Comment, tes navets ? — Mais sans doute ! Est-ce que tu ne me les as pas donnés avant qu’ils fussent levés ? J’en ai eu soin, je les ai arrosés. — Et moi je les ai semés. — Soit, » reprit le diable, « tu les as semés, je ne dis pas le contraire, mais c’est moi qui les ai arrosés. Tiens, voici ce que nous allons faire : rendons-nous ici, toi et moi, chacun en tel équipage qu’ils nous plaira. Si tu devines quelle est ma monture, les navets seront à toi, et ils m’appartiendront si je reconnais sur quoi tu es monté. » Le moujik accepta cet arrangement.

Le lendemain, il prit sa femme avec lui ; quand il fut près du champ, il la fit mettre à quatre pattes, releva ses jupons, lui fourra une carotte dans le κυλ et lui cacha le visage avec ses cheveux dénoués. Pour ce qui est du diable, il attrapa un lièvre, monta dessus et, en arrivant, demanda au moujik : « Sur quoi suis-je venu ? — Qu’est-ce qu’il mange ? » interrogea le paysan. — « Des pousses de tremble. — Alors, c’est un lièvre. » De son côté, le diable essaya de reconnaître la monture du paysan et se mit à tourner autour. « Ces crins, » observa-t-il, « c’est la queue, et voici la tête, mais elle mange une carotte ! » Ce détail dérouta complètement le diable, et il s’avoua vaincu. Le paysan tira les navets, les vendit et commença dès lors à prospérer.