Contes secrets Russes/Malices de femmes

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 228-233).

LXXI

MALICES DE FEMMES

Ma petite tante ! Je voudrais te demander… « — Allons, parle, qu’est-ce qu’il te faut ? — Je pense que tu peux toi-même t’en douter. » La tante comprit tout de suite de quoi il s’agissait : « Soit, Ivanouchka, je te ferais volontiers plaisir, mais tu ne connais pas nos malices féminines. — Peut-être, ma tante, ne suis-je pas non plus sans malice. — Allons, c’est bien, viens cette nuit sous notre fenêtre. » Enchanté, le gars attendit la nuit avec impatience et, quand elle fut arrivée, il se rendit dans la cour de son oncle ; mais cette cour était jonchée de chénevotte qui craquait sous les pas du jeune homme, tandis qu’il se dirigeait vers la fenêtre. « Regarde un peu, vieux, » dit la tante à son mari, « quelqu’un se promène autour de l’izba : n’est-ce pas un voleur ? » L’oncle ouvrit la fenêtre et demanda : « Qui est-ce qui rôde ici la nuit ? — C’est moi, mon oncle, » répondit le neveu. — « Quel diable t’a amené ici ? — Mais quoi, mon oncle ! Je viens d’avoir une discussion avec mon père : il prétend qu’il y a neuf rangées de poutres à ton izba, et je lui soutiens qu’il y en a dix. Voilà, je suis venu les compter. — Est-ce que le vieux diable a perdu la raison ? » dit l’oncle : « il a lui-même travaillé avec moi à la construction de ma maison, il doit bien savoir qu’elle compte dix rangées de poutres. — En effet, mon oncle, en effet ; je vais aller cracher au visage de mon père. »

Le lendemain, le gars dit à sa tante : « Eh bien, ma tante ! Ainsi il n’y a moyen de rien faire avec toi ! — Que tu es bête ! Quand ton oncle cause avec toi, comment puis-je aller te trouver ? Mais tu connais l’endroit où nous rentrons nos brebis, vas-y cette nuit et certainement tu m’y verras ! » La nuit venue, le gars ne manqua pas d’aller au rendez-vous qu’on lui avait donné, il se blottit dans un coin et attendit sa tante. Mais celle-ci dit à son mari : « Écoute, vieux, notre cour n’est pas tranquille, on dirait qu’il y est entré une bête féroce, nos brebis ont pris l’alarme : est-ce qu’un loup ne se serait pas introduit dans la bergerie ? » Le vieillard alla dans la cour et demanda : « Qui est là ? — C’est moi, mon oncle ! — Pourquoi le diable t’a-t-il amené à une pareille heure ? — Qu’est-ce que vous voulez, mon oncle ? Mon père ne me laisse pas de repos ; tout à l’heure nous avons failli en venir aux coups. — Pourquoi cela ? — Eh bien ! il dit que tu as neuf brebis et un bélier, moi je lui soutiens que tu as seulement neuf brebis, attendu que le bélier tu l’as tué. — Oui, tu as raison : le bélier, je l’ai tué pour un dîner de baptême. Le vieux diable lui-même a assisté à ce dîner et il a mangé du bélier ! Quoiqu’il soit mon propre frère, demain, quand je le verrai, je lui cracherai au visage ! — Et moi, quoiqu’il soit mon propre père, je vais aller lui arracher la barbe ; il ne peut même pas laisser dormir les gens ! Adieu, mon oncle ! — Porte-toi bien ! » Pendant ce dialogue, la tante se tordait de rire.

Le lendemain, son neveu, en l’apercevant, lui dit : « Ah ! ma tante, ma tante ! Comment n’es-tu pas honteuse ? Je n’arriverai donc jamais à rien avec toi ! — Eh ! Vania, Vania, que tu es bête ! Ton oncle cause avec toi, est-ce que je puis aller te trouver ? Voilà déjà deux fois que tu échoues, tâche d’être plus heureux à la troisième. Viens cette nuit dans notre izba, tu sais où nous couchons, tu me reconnaîtras au toucher : j’aurai le κυλ à l’air. » Dès que la tante se fut mise au lit avec son mari, elle lui parla en ces termes : « Écoute ce que j’ai à te dire : je ne puis plus y tenir, voilà six ans que j’occupe le bord du lit ; à présent changeons de place, je veux être contre le mur. — Cela m’est égal, » répondit le vieillard, et il se coucha sur le bord. Au bout d’un certain temps, la paysanne reprit la parole : « Eh ! patron, qu’il fait chaud dans l’izba ! Regarde un peu, le poêle est fermé, sans doute ». Ce disant, elle posa la main sur le κυλ de son mari. « Ah ! tu es toujours en caleçon ! Cela n’est pas permis ! Demande donc à Loukian ou à Karp s’ils couchent jamais en caleçon avec leurs femmes ! » L’époux sentit la justesse de cette observation, il ôta son caleçon et s’endormit, le κυλ à l’air. Au premier chant du coq, le neveu se glisse dans le vestibule, applique son oreille contre la porte : le silence règne dans l’izba. Il ouvre tout doucement, pénètre dans la chambre et se met à tâter autour du lit. Sa main rencontre un κυλ qu’il croit être celui de sa tante et qu’il attaque vigoureusement. L’oncle, assailli de la sorte, pousse les hauts cris et empoigne le membre coupable. « Qu’est-ce que tu as, vieux ? » demande la tante. — « Lève-toi vite, allume un copeau, » fait-il d’une voix forte ; « j’ai pris un voleur. » La tante sort précipitamment du lit ; feignant de croire que la maison brûle, elle court chercher de l’eau et éteint ce qui restait de feu. — « Pourquoi donc lambines-tu ainsi ? — C’est qu’il n’y a pas de feu ici. — Eh bien ! va vite en demander chez le voisin ! — Comment sortir à présent ? Il fait nuit, les loups rôdent dans le village ! — Que le diable t’emporte ! J’irai moi-même chercher du feu ; tiens le voleur et fais attention à ce qu’il ne s’échappe pas ! » L’oncle chercha une lanterne, ouvrit la grande porte, se rendit chez le voisin, le réveilla, lui apprit ce qui était arrivé et lui demanda du feu ; pendant ce temps, la tante resta dans l’izba avec le neveu. « Allons, » dit-elle, « maintenant fais de moi ce que tu veux ». Il la mit sur le lit et la besogna à deux reprises ; après quoi il s’esquiva.

Le jeune homme parti, la tante songea : « Que répondre à mon mari quand il me reprochera d’avoir laissé le voleur s’échapper ? » Heureusement pour elle, une vache avait mis bas peu de temps auparavant et son veau était attaché au lit des époux. La rusée commère saisit la langue du veau et la tint serrée dans sa main. Lorsque le mari revint avec de la lumière, il demanda : « Femme, qu’est-ce que tu tiens là ? — Je tiens ce que tu m’as mis dans la main. » Le paysan entra dans une violente colère, prit son couteau et trancha la tête du pauvre animal. « Qu’est-ce que tu fais ? » lui cria sa femme, « as-tu perdu l’esprit ou es-tu devenu enragé ? » Il ôta son caleçon et lui montra son κυλ : « Tiens, regarde comme il m’a léché ! Je crois que je n’aurais pas survécu à une nouvelle caresse de sa langue. »

La tante, ayant rencontré son neveu, lui dit : « Eh bien ! Vania, m’achèteras-tu de belles chaussures ? — Pourquoi pas ? Tiens, demain j’irai à la ville et je t’en achèterai. — Achète-m’en, Vania, je t’en récompenserai. » Mais le gars ne fut pas bête ; il alla prendre un chou cabus dans son potager, en détacha la tête, et, après l’avoir enveloppée dans un mouchoir, l’apporta à sa tante. « Tu m’as acheté des souliers, Ivanouchka ? — Oui. — Donne, que je les essaie. — Gagne-les d’abord. » Il la mena dans une remise, plaça le mouchoir sous sa tête et commença à la βαισερ. Pendant ce temps le chou qui servait d’oreiller à la tante rendait un son aigu. « Criez ou non, » dit-elle, « vous serez à mes pieds. — Tu pourras aussi les manger en pâté, » observa le neveu.