Contes tjames/Histoire d’un gardeur de buffles

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Imprimerie coloniale (p. 105-107).


XV

HISTOIRE D'UN GARDEUR DE BUFFLES

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Un pauvre homme s'était loué comme gardien de buffles pour gagner sa vie. Son maître eut besoin d'aller à la forêt couper du bois pour construire une maison, il fit atteler les buffles au char et mena le berger avec lui pour garder les buffles. Des gens du village les suivaient avec cinq charrettes.

Quand ils furent arrivés à la forêt, ils construisirent un abri et le maître ordonna au berger de rester là pour garder les buffles. Tous les voisins allèrent avec le maître et le berger resta seul avec la mission de garder les buffles de toute la troupe et d'aller chercher de l'eau pour faire leur cuisine.

Tout en gardant ses buffles le berger vit un grand serpent sous un quartier de rocher, il prit un bâton et le tua. La mère et le père de ce serpent étaient allés chercher de la pâture ; le berger épia leur retour et tout d'un coup les vit arriver avec un bruit de tempête. La mère voyant son petit mort alla mordre l'écorce d'un arbre qui poussait à côté de l'abri que l'on avait construit et vint la cracher sur son petit. Le lendemain, pendant que les serpents étaient à la pâture, le berger alla voir ce qu'était devenu le petit et le trouva vivant. Alors il prit de l'écorce de cet arbre et la cracha sur un arik gang[2] qu'il mit dans une marmite pleine d'eau. L’arik gang revint à la vie et nagea dans la marmite.

Peu de temps après, le maître et ses compagnons revinrent de la forêt et chargèrent sur les chariots le bois qu'ils avaient coupé. Le berger écorça l'arbre merveilleux dont l'écorce avait servi à ressusciter le serpent et mit cette écorce sur une charrette pour la rapporter à la maison.

En chemin le berger entendit dire qu'une jolie fille était morte. Depuis quand, demanda-t-il. Il y a un mois, lui répondit-on. Le berger, laissant son maître continuer sa route, se fit mener à l'endroit où était la morte. Quand il fut arrivé à la salle où avait lieu la réunion funéraire il demanda : Ces gens-là n'avaient-ils que cette fille pour se désoler ainsi ? On lui répondit qu'ils n'avaient que cette enfant. Voulez-vous que je la ressuscite, leur demanda-t-il ? Les parents répondirent : Neveu, si tu peux la ressusciter, ressuscite-la, nous ne savons plus que faire.

Le berger leur dit de faire sortir tous les assistants et de le laisser seul pour ressusciter leur fille. Les parents firent sortir tout le monde et tirèrent un rideau devant la porte de la salle. Le berger prit l'écorce qu'il avait vu employer par le serpent et la cracha sur la morte ; la première fois elle remua les pieds et les mains, la seconde fois elle ouvrit les yeux et gémit, la troisième fois elle se leva et demanda à boire. On lui donna une écuelle d'eau, deux écuelles sans qu'elle fut désaltérée, sa soif ne fut apaisée qu'après qu'elle en eût bu une jarre.

La fille ressuscitée était plus belle qu'avant. Ses parents la donnèrent en mariage à son sauveur. Le berger planta dans le jardin de la maison de sa femme l'arbre dont l'écorce avait ce pouvoir merveilleux. Le bruit se répandit bientôt dans tous les villages, dans tout le pays, que ce gardeur de buffles ressuscitait les gens. Aussi venait-on le chercher des autres villages. Il dit à sa femme : J'ai planté l'arbre merveilleux dans le jardin, derrière la maison, ne va pas te soulager dans ce jardin, l'arbre s'envolerait au ciel.

Mais, pendant l'absence de son mari, la femme ne tint pas compte de ses recommandations et l'arbre s'envola. Le mari le vit ainsi monter, il s'attacha aux racines avec un chien noir ; ils montèrent dans le ciel et maintenant ils se trouvent dans la lune.



  1. Voir Contes et Légendes annamites, 45-51.
  2. Espèce de poisson de mer. Ici il s'agit évidemment d'un poisson sec.