Contre Sainte-Beuve/Journées

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NRF Gallimard (p. 80-94).


JOURNÉES


Cette mince raie, au-dessus des rideaux, selon qu’elle est plus ou moins claire, me dit le temps qu’il fait, avant même de me le dire m’en donne l’humeur  ; mais je n’ai même pas besoin d’elle. Encore tourné contre le mur et avant même qu’elle ait paru, à la sonorité du premier tramway qui s’approche et de son timbre d’appel, je peux dire s’il roule avec résignation dans la pluie ou s’il est en partance pour l’azur. Car non seulement chaque saison mais chaque sorte de temps lui offre son atmosphère, comme un instrument particulier sur lequel il exécutera l’air toujours pareil de son roulement et de son timbre  ; et ce même air non seulement nous arrivera différent mais prendra une couleur et une signification, et exprimera un sentiment tout différent, s’il s’assourdit comme un tambour de brouillard, se fluidifie et chante comme un violon, tout prêt alors à recevoir cette orchestration colorée et légère, dans l’atmosphère où le vent fait courir ses ruisseaux, ou s’il perce avec la vrille d’un fifre la glace bleue d’un temps ensoleillé et froid.

Les premiers bruits de la rue m’apportent l’ennui de la pluie où ils se morfondent, la lumière de l’air glacé où ils vibrent, l’abattement du brouillard qui les éteint, la douceur et les bouffées d’un jour tempétueux et tiède, où l’ondée légère ne les mouille qu’à peine, vite essuyée d’un souffle ou séchée d’un rayon.

Ces jours-là, surtout si le vent fait entendre dans la cheminée un irrésistible appel, qui me fait plus battre le cœur qu’à une jeune fille le roulement des voitures allant au bal où elle n’est pas invitée, le bruit de l’orchestre arrivant par la fenêtre ouverte, je voudrais avoir passé la nuit en chemin de fer, arriver au petit jour dans quelque ville de Normandie, Caudebec ou Bayeux, qui m’apparaît sous son nom et son clocher anciens comme sous sa coiffe traditionnelle de la paysanne cauchoise ou son bonnet de dentelle de la reine Mathilde, et partir aussitôt en promenade, au bord de la mer en tempête, jusqu’à l’église des pêcheurs, moralement protégée des flots qui semblent ruisseler encore dans la transparence des vitraux où ils soulèvent la flotte d’azur et de pourpre de Guillaume et des guerriers, et s’être écartés pour réserver entre leur houle circulaire et verte cette crypte sous-marine de silence étouffé et d’humidité, où un peu d’eau stagne encore çà et là au creux de la pierre des bénitiers.

Et le temps qu’il fait n’a même pas plus besoin que de la couleur du jour de la sonorité des bruits de la rue pour se révéler à moi et m’appeler vers la saison et le climat dont il semble envoyé. À sentir le calme et la lenteur de communications et d’échanges qui règnent dans la petite cité intérieure de nerfs et de vaisseaux que je porte en moi, je sais qu’il pleut, et je voudrais être à Bruges où, près du four rouge comme un soleil d’hiver, les gélines, les poules d’eau, le cochon cuiraient pour mon déjeuner comme dans un tableau de Breughel.

Si déjà à travers mon sommeil, j’ai senti tout ce petit peuple de mes nerfs actif et réveillé bien avant moi, je me frotte les yeux, je regarde l’heure pour voir si j’aurais le temps d’arriver à Amiens, pour voir près de la Somme gelée sa cathédrale, ses statues abritées du vent par les corniches adossées à son mur d’or y dessiner au soleil de midi toute une vigne d’ombre.

Mais les jours de brume, je voudrais m’éveiller pour la première fois dans un château que je n’aurais vu qu’à la nuit, me lever tard, et grelottant dans ma chemise de nuit, revenant gaîment me brûler près du grand feu dans la cheminée, près duquel le soleil glacé d’hiver vient se chauffer sur le tapis, je verrais par la fenêtre un espace que je ne connais pas, et entre les ailes du château qui paraissent fort belles, une vaste cour où les cochers poussent les chevaux, qui tantôt nous emmèneront en forêt voir les étangs et le monastère, tandis que la châtelaine tôt levée recommande qu’on ne fasse pas de bruit pour ne pas m’éveiller.

Parfois, un matin de printemps égaré dans l’hiver, où la crécelle du conducteur de chèvres résonne plus claire dans l’azur que la flûte d’un pasteur de Sicile, je voudrais passer le Saint-Gothard neigeux et descendre dans l’Italie en fleurs. Et déjà, touché par ce rayon de soleil matinal, j’ai sauté à bas du lit, j’ai fait mille danses et gesticulations heureuses que je constate dans la glace, je dis avec joie des mots qui n’ont rien d’heureux, et je chante, car le poète est comme la statue de Memnon  : il suffit d’un rayon de soleil levant pour le faire chanter.

Quand successivement tous les autres hommes que j’ai en moi, l’un par-dessus l’autre, sont tous réduits au silence, que l’extrême souffrance physique, ou le sommeil, les a tous fait tomber l’un après l’autre, celui qui reste le dernier, qui reste toujours debout, c’est, mon Dieu, quelqu’un qui ressemble parfaitement à ce capucin qu’au temps de mon enfance les opticiens avaient sous la vitre de leur devanture et qui ouvrait son parapluie s’il pleuvait, et ôtait son chapeau s’il faisait beau. S’il fait beau, mes volets ont beau être hermétiquement fermés, mes yeux peuvent être clos une crise terrible causée précisément par le beau temps, par une jolie brume mêlée de soleil qui me fait râler, peut m’ôter à force de souffrance presque la connaissance, m’ôter toute possibilité de parler, je ne peux plus rien dire, je ne pense plus à rien, même le désir que la pluie mette fin à ma crise, je n’ai plus la force de me le formuler. Alors, dans ce grand silence de tout, que domine le bruit de mes râles, j’entends tout au fond de moi une petite voix gaie qui dit  : il fait beau – il fait beau –, des larmes de souffrance me tombent des yeux, je ne peux pas parler, mais si je pouvais retrouver un instant le souffle, je chanterais, et le petit capucin d’opticien, qui est la seule chose que je suis resté, ôte son chapeau et annonce le soleil.

Aussi quand je pris plus tard l’habitude de rester levé toute la nuit et de rester couché toute la journée, je la sentais près de moi sans la voir, en un appétit d’autant plus vif d’elle et de la vie, que je ne pouvais le satisfaire. Dès les premiers pâles sons des cloches, à peine blanchissants, de l’angélus du matin, qui passent dans l’air, faibles et rapides, comme la brise qui précède la levée du jour, clairsemés comme les gouttes d’une pluie matinale, j’aurais voulu goûter le plaisir de ceux qui partent en excursion avant le jour, sont exacts au rendez-vous dans la cour d’un petit hôtel de province et qui battent la semelle en attendant que la voiture soit attelée, assez fiers de montrer à ceux qui n’avaient pas cru à leur promesse de la veille qu’ils s’étaient réveillés à temps. On aura beau temps. Par les beaux jours d’été le sommeil de l’après-midi a le charme d’une sieste.

Qu’importait que je fusse couché, les rideaux fermés  ! À une seule de ses manifestations de lumière ou d’odeur, je savais que l’heure était, non pas dans mon imagination, mais dans la réalité présente du temps, avec toutes les possibilités de vie qu’elle offrait aux hommes, non pas une heure rêvée, mais une réalité à laquelle je participais, comme un degré de plus ajouté à la vérité des plaisirs.

Je ne sortais pas, je ne déjeunais pas, je ne quittais pas Paris. Mais quand l’air onctueux d’une matinée d’été avait fini de vernir et d’isoler les simples odeurs de mon lavabo et de mon armoire à glace, et qu’elles reposaient, immobiles et distinctes dans un clair-obscur nacré qu’achevait de « glacer  » le reflet des grands rideaux de soie bleue, je savais qu’en ce moment des collégiens comme j’étais encore il y a quelques années, des «  hommes occupés  » comme je pourrais être, descendaient de train ou de bateau pour rentrer déjeuner chez eux à la campagne, et que, sous les tilleuls de l’avenue, devant la boutique torride du boucher, tirant leur montre pour voir s’ils «  n’avaient pas de retard  » ils goûtaient déjà le plaisir de traverser tout un arc-en-ciel de parfums, dans le petit salon noir et fleuri dont un rayon de jour immobile semble avoir anesthésié l’atmosphère  ; et que après s’être dirigé dans l’office obscure où luisent soudain des irisations comme dans une grotte, et où rafraîchit dans des auges pleines d’eau le cidre, que tout à l’heure – si «  frais  » en effet qu’il appuiera au passage sur toutes les parois de la gorge en une adhérence entière, glaciale et embaumée – on boira dans de jolis verres troubles et trop épais, qui comme certaines chairs de femme donnent envie de pousser jusqu’à la morsure l’insuffisance du baiser, ils goûtaient déjà la fraîcheur de la salle à manger où l’atmosphère – en sa congélation lumineuse que striaient comme l’intérieur d’une agate les parfums distincts de la nappe, du buffet, du cidre, celui aussi du gruyère auquel le voisinage des prismes de verre destinés à supporter les couteaux ajoutait quelque mysticité – se veinait délicatement quand on apportait les compotiers de l’odeur des cerises d’abord et des abricots. Des bulles montaient dans le cidre et elles étaient si nombreuses que d’autres restaient pendues le long du verre où avec une cuiller on aurait pu les prendre, comme cette vie qui pullule dans les mers d’Orient et où, d’un coup de filet, on prend des milliers d’œufs. Et du dehors elles grumelaient le verre comme un verre de Venise, et lui donnaient une extrême délicatesse en brodant de mille points délicats sa surface que le cidre rosait.

À peine, comme un musicien qui entend dans sa tête la symphonie qu’il compose sur le papier a besoin de jouer une note pour s’assurer qu’il est bien d’accord avec la sonorité réelle des instruments, je me levais un instant et j’écartais le rideau de la fenêtre pour bien me mettre au diapason de la lumière. Je m’y mettais aussi au diapason de ces autres réalités dont l’appétit est surexcité dans la solitude et dont la possibilité, la réalité donne une valeur à la vie  : les femmes qu’on ne connaît pas. Voici qu’il en passe une, qui regarde de droite et de gauche, ne se presse pas, change de direction, comme un poisson dans une eau transparente. La beauté n’est pas comme un superlatif de ce que nous imaginons, comme un type abstrait que nous avons devant les yeux, mais au contraire un type nouveau, impossible à imaginer que la réalité nous présente. Ainsi, de cette grande fille de dix-huit ans, à l’air dégourdi, aux joues pâles, aux cheveux qui frisent. Ah  ! si j’étais levé. Mais du moins, je sais que les jours sont riches de telles possibilités, mon appétit de la vie s’en accroît. Car parce que chaque beauté est un type différent, qu’il n’y a pas de beauté mais des femmes belles, elle est une invitation à un bonheur qu’elle seule peut réaliser.

Qu’ils sont délicieux et douloureux, ces bals où se mêlent devant nous non pas seulement les jolies jeunes filles à la peau embaumée, mais les files insaisissables, invisibles, de toutes ces vies inconnues de chacune d’elles où nous voudrions pénétrer  ! Parfois l’une, du silence d’un regard de désir et de regret, nous entrouvre sa vie, mais nous ne pouvons pas y entrer autrement que par le désir. Et le désir seul est aveugle, et désirer une jeune fille dont on ne sait même pas le nom, c’est se promener les yeux bandés dans un lieu dont on sait que ce serait le paradis de pouvoir y revenir et que rien ne nous fera reconnaître…

Mais elle, combien nous en reste inconnu  ! Nous voudrions savoir son nom qui du moins pourrait nous permettre de la retrouver, et qui peut-être est tel qu’elle mépriserait le nôtre, les parents dont les ordres et les habitudes sont ses obligations et ses habitudes, la maison qu’elle habite, les rues qu’elle traverse, les amis qu’elle rencontre, ceux qui, plus heureux, viennent la voir, la campagne où elle ira l’été et qui l’éloignera plus encore de nous, ses goûts, ses pensées, tout ce qui certifie son identité, constitue sa vie, frappe ses regards, contient sa présence, emplit sa pensée, reçoit son corps.

Parfois, j’allais jusqu’à la fenêtre, je soulevais un coin du rideau. Dans une flaque d’or, suivies de leur institutrice, se rendant au catéchisme ou au cours, ayant épuré de leur souple démarche tout mouvement involontaire, je voyais passer de ces jeunes filles, pétries dans une chair précieuse, qui semblent faire partie d’une petite société impénétrable, ne pas voir le peuple vulgaire au milieu duquel elles passent, si ce n’est pour en rire sans se gêner, avec une insolence qui leur semble l’affirmation de leur supériorité. Jeunes filles qui semblent dans un regard mettre entre elles et vous cette distance que leur beauté rend douloureuse  ; jeunes filles non pas de l’aristocratie, car les cruelles distances de l’argent, du luxe, de l’élégance ne sont nulle part supprimées aussi complètement que dans l’aristocratie. Elle peut rechercher par plaisir les richesses mais n’y attribue aucune valeur et les met sans façon et sincèrement sur le même pied que notre gaucherie et notre pauvreté. Jeunes filles non du monde de l’intelligence, car il pourrait y avoir avec elles d’autres divins plain-pieds. Jeunes filles pas même du monde de la pure finance, car elle révère ce qu’elle souhaite d’acheter, est encore plus près du travail et de la considération. Non, jeunes filles élevées dans ce monde qui peut mettre entre lui et vous la distance la plus grande et la plus cruelle, coterie du monde de l’argent, qui à la faveur de la jolie tournure de la femme ou de la frivolité du mari commence à frayer dans les chasses avec l’aristocratie, cherchera demain à s’allier avec elle, aujourd’hui a encore contre elle le préjugé bourgeois, mais déjà souffre que son nom roturier ne laisse pas deviner qu’elles rencontrent en visite une duchesse, et que la profession d’agent de change ou de notaire de leur père puisse laisser supposer qu’il mène la même vie que la plupart de ses collègues dont ils ne veulent pas voir les filles. Milieu où il est difficile de pénétrer parce que déjà les collègues du père en sont exclus, et que les nobles seraient obligés de trop s’abaisser pour vous y faire entrer  ; affinées par plusieurs générations de luxe et de sport, que de fois, dans le moment même où je m’enchantais de leur beauté, elles m’ont fait sentir dans un seul regard toute la distance vraiment infranchissable qu’il y avait entre elles et moi, et d’autant plus inaccessible pour moi que les nobles que je connais ne les connaissaient pas et ne pourraient pas me présenter à elles.

J’aperçois un de ces êtres qui nous dit par son visage particulier la possibilité d’un bonheur nouveau. La beauté, en étant particulière, multiplie les possibilités de bonheur. Chaque être est comme un idéal encore inconnu qui s’ouvre à nous. Et de voir passer un visage désirable que nous ne connaissions pas nous ouvre de nouvelles vies que nous désirons vivre. Ils disparaissent au coin de la rue, mais nous espérons les revoir, nous restons avec l’idée qu’il y a bien plus de vies que nous ne pensions à vivre, et cela donne plus de valeur à notre personne. Un nouveau visage qui a passé, c’est comme le charme d’un nouveau pays qui s’est révélé à nous par un livre. Nous lisons son nom, le train va partir. Qu’importe si nous ne partons pas, nous savons qu’il existe, nous avons une raison de plus de vivre. Ainsi, je regardais par la fenêtre pour voir que la réalité, la possibilité de la vie que je sentais en chaque heure près de moi contenaient d’innombrables possibilités de bonheurs différents. Une jolie fille de plus me garantissait la réalité, la multiformité du bonheur. Hélas  ! nous ne connaîtrons pas tous les bonheurs, celui qu’il y aurait à suivre la gaîté de cette fillette blonde, à être connu des yeux graves de ce dur visage sombre, à pouvoir tenir sur ses genoux ce corps élancé, à connaître les commandements et la loi de ce nez busqué, de ces yeux durs, de ce grand front blanc. Du moins nous donnent-ils de nouvelles raisons de vivre…

Parfois l’odeur fétide d’une automobile entrait par la fenêtre, cette odeur que trouvent nous gâter la campagne de nouveaux penseurs qui croient que les joies de l’âme humaine seraient différentes si on voulait, etc., qui croient que l’originalité est dans le fait et non dans l’impression. Mais le fait est si immédiatement transformé par l’impression que cette odeur de l’automobile entrait dans ma chambre tout simplement comme la plus enivrante des odeurs de la campagne en été, celle qui résumait sa beauté et la joie aussi de la parcourir toute, d’approcher d’un but désiré. L’odeur même de l’aubépine ne m’eût apporté l’évocation que d’un bonheur en quelque sorte immobile et limité, celui qui est attaché à une haie. Cette délicieuse odeur de pétrole, couleur du ciel et du soleil, c’était toute l’immensité de la campagne, la joie de partir, d’aller loin entre les bleuets, les coquelicots et les trèfles violets, et de savoir que l’on arrivera au lieu désiré, où notre amie nous attend. Pendant toute la matinée, je m’en souviens, dans ces champs de la Beauce, la promenade m’éloignait d’elle. Elle était restée à une dizaine de lieues de là. Par moments un grand souffle venait, qui couchait les blés au soleil et faisait frémir les arbres. Et dans ce grand pays plat, où les pays les plus lointains semblent la continuation à perte de vue des mêmes lieux, je sentais que ce souffle venait en droite ligne de l’endroit où elle m’attendait, qu’il avait passé sur son visage avant de venir à moi, sans avoir rien rencontré, sur son chemin d’elle à moi, que ces champs indéfinis de blé, de bleuets, de coquelicots, qui étaient comme un seul champ aux deux bouts duquel nous nous serions mis et tendrement attendus, à cette distance où les yeux n’atteignaient pas, mais que franchissait un souffle doux comme un baiser qu’elle m’envoyait, comme son haleine qui venait jusqu’à moi, et que l’automobile me ferait si vite franchir quand il serait l’heure de retourner près d’elle. J’ai aimé d’autres femmes, j’ai aimé d’autres pays. Le charme des promenades est resté attaché moins à la présence de celle que j’aimais, qui me devenait vite si douloureuse, par la peur de l’ennuyer et de lui déplaire, que je ne la prolongeais pas, qu’à l’espoir d’aller vers elle, où je ne restais que sous le prétexte de quelque nécessité et avec l’espoir d’être prié de revenir avec elle. Ainsi un pays était suspendu à un visage. Peut-être ainsi ce visage était-il suspendu à un pays. Dans l’idée que je me faisais de son charme, le pays qu’il habitait, qu’il me ferait aimer, où il m’aiderait à vivre, qu’il partagerait avec moi, où il me ferait trouver de la joie, était un des éléments même du charme, de l’espoir de vie, était dans le désir d’aimer. Ainsi au fond d’un paysage palpitait le charme d’un être. Ainsi dans un être tout un paysage mettait sa poésie. Ainsi chacun de mes étés eut le visage, la forme d’un être et la forme d’un pays, plutôt la forme d’un même rêve qui était le désir d’un être et d’un pays que je mêlais vite  ; des quenouilles de fleurs rouges et bleues dépassant d’un mur ensoleillé, avec des feuilles luisantes d’humidité, étaient la signature à quoi étaient reconnaissables tous mes désirs de nature, une année  ; la suivante ce fut un triste lac le matin, sous la brume. L’une après l’autre, et ceux que je tâchai de conduire dans de tels pays, ou pour rester près desquels je renonçai à y aller, ou dont je devenais amoureux parce que j’avais cru – souvent inexactement, mais le prestige restait une fois que je savais m’être trompé – qu’ils y habitaient, l’odeur de l’automobile en passant m’a rendu tous ces plaisirs et m’a invité à de nouveaux, c’est une odeur d’été, de puissance, de liberté, de nature et d’amour.