Coran Savary/Vie de Mahomet/JC630

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Traduction par Claude-Étienne Savary Voir et modifier les données sur Wikidata.
G. Dufour (1p. 32-37).
(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6215. — Depuis la naissance de J.-C. 630. — Avant l’hégire. 1. — De Mahomet. 52. — De sa mission. 12.)

L’histoire place un an avant l’hégire, le fameux voyage nocturne de Mahomet. Les plus graves historiens, ceux dont l’autorité doit faire loi, le regardent comme une vision. Mahomet l’imagina, pour donner du poids à la nouvelle manière de prier qu’il avait établie. Nous allons en donner la narration abrégée, d’après Elbokar et Abuhoreïra[1].

J’étais couché, dit Mahomet, entre les collines Safa et Merva[2], lorsque Gabriel, s’approchant de moi, m’éveilla[3]. Il conduisait avec lui Elborak[4], jument d’un gris argenté, et si vite, que l’œil a peine à le suivre dans son vol. Me l’ayant confiée, il me commanda de monter ; j’obéis. Nous partîmes. Dans un instant nous fûmes aux portes de Jérusalem. Elborak s’arrêta. Je descendis, et l’attachai aux anneaux où les prophètes avaient coutume d’attacher leurs montures. En entrant dans le temple, je rencontrai Abraham, Moïse, Jésus. Je fis la prière avec eux. Lorsqu’elle fut finie, je remontai sur Elborak, et nous continuâmes notre route. Nous parcourûmes avec la promptitude de l’éclair l’immense étendue des airs. Arrivés au premier ciel, Gabriel frappa à la porte. Qui est là, demanda-t-on ? — Gabriel. — Quel est ton compagnon ? — Mahomet. — A-t-il reçu sa mission ? — Il l’a reçue. — Qu’il soit le bienvenu ! À ces mots la porte s’ouvrit et nous entrâmes. Voilà ton père Adam, me dit Gabriel. Va le saluer. Je saluai Adam, et il me rendit le salut. Le ciel, ajouta-t-il, accomplisse tes vœux, ô mon fils honoré ! ô le plus grand des prophètes !

Nous partîmes. Je suivais mon guide à travers l’immensité de l’espace. Nous arrivâmes au second ciel, Gabriel frappa à la porte. Qui est là, demanda-t-on ? — Gabriel. — Quel est ton compagnon ? — Mahomet. — A-t-il reçu sa mission ? — Il l’a reçue. — Qu’il soit le bienvenu. La porte s’ouvrit et nous entrâmes. Je rencontrai Jésus et Jean. Je les saluai, et ils me rendirent le salut. Bonheur ! ajoutèrent-ils, à notre frère honoré, au plus grand des prophètes.

Mahomet, toujours volant sur Elborak, toujours conduit par Gabriel, parcourut toutes les sphères célestes avec les mêmes cérémonies. Au troisième ciel, il fut complimenté par Joseph ; au quatrième, par Henoc ; au cinquième, par Aaron ; au sixième, par Moïse ; au septième, il salua Abraham et reçut ses félicitations. De là il franchit une vaste étendue des cieux, et pénétra jusqu’au Lotos qui termine le jardin de délices. Les esprits célestes ne peuvent passer au delà. Cet arbre est si immense, qu’un seul de ses fruits nourrirait pendant un jour toutes les créatures de la terre. Du pied de cet arbre, sortent quatre fleuves, que l’imagination des orientaux s’est plu à embellir. Mahomet, après avoir parcouru toutes les beautés du séjour de délices, alla visiter la maison de l’adoration, où les esprits célestes vont en pèlerinage. Soixante-dix mille anges y rendent chaque jour leurs hommages à l’Éternel. Les mêmes n’y entrent jamais deux fois. Ce temple, bâti d’hyacinthes rouges, est entouré d’une multitude de lampes qui brûlent sans cesse. Après que Mahomet y eut fait sa prière, on lui présenta trois coupes remplies, l’une de vin, l’autre de lait, et la troisième de miel. Il choisit celle qui était remplie de lait. Gabriel le félicitant sur son choix, lui dit qu’il était d’un heureux présage pour sa nation. Après qu’il eut traversé des cieux d’une vaste étendue, des océans de lumière, il s’approcha du trône de Dieu, qui lui commanda de faire cinquante fois la prière par jour. Descendu au ciel de Moïse, il lui fit part de l’ordre qu’il avait reçu. Retourne vers le Seigneur, lui dit le conducteur des Hébreux, prie-le d’adoucir le précepte, jamais ton peuple ne pourra l’accomplir. Mahomet remonta vers le Très-Haut, et le pria de diminuer le nombre des prières. Il fut réduit à quarante. Moïse, engagea Mahomet à de nouvelles instances. Dieu diminua encore de dix, le nombre des prières. Enfin, après des messages plusieurs fois réitérés par le conseil de Moïse, le nombre des prières fut réduit à cinq. Le prophète consolé fit ses adieux au conducteur des Israélites, et reprit son vol vers la terre. Elborak le déposa au lieu où il l’avait pris quelques heures auparavant.

Les docteurs mahométans ont écrit des volumes sur le voyage nocturne. Livrés au délire d’une imagination exaltée, ils en ont fait des peintures extravagantes. Parmi quelques traits sublimes, et qui eussent fait honneur au pinceau de Milton, ils ont mêlé une foule de tableaux gigantesques et de contes puérils. Nous nous sommes bornés au récit que Mahomet, si l’on en croit quelques historiens, fit lui-même à ses concitoyens. Il n’eut pas le succès qu’il en attendait. Les Coréishites n’étaient pas faciles à persuader. Ils se moquèrent d’un visionnaire qui voulait être cru sur sa parole[5]. Ses disciples murmurèrent pour la première fois. Quelques-uns même, ne pouvant résister aux traits du ridicule lancés de toutes parts, doutèrent de leur prophète, et retournèrent à l’idolâtrie. Les autres étaient ébranlés ; Mahomet trouva le moyen de les raffermir dans leur croyance. Abubecr, dont le témoignage était d’un grand poids, donna de l’authenticité au voyage nocturne, en assurant qu’il y croyait, et qu’il en attestait la vérité. Ce témoignage calma les rumeurs, et laissa le temps au prophète de reprendre sur les esprits, l’empire qu’une indiscrétion avait manqué de détruire. Abubecr mérita le surnom glorieux d’Elseddik, le témoin fidèle.

Tandis qu’on disputait à la Mecque sur la vision de Mahomet, Médine retentissait de ses louanges. Le zèle des nouveaux convertis y avait fait des prosélytes. Douze fidèles en partirent, et vinrent le trouver au château d’Accaba. Ils le reconnurent pour leur chef, et lui prêtèrent serment d’obéissance et de fidélité. Ils jurèrent qu’ils ne donneraient point d’égal à Dieu, qu’ils éviteraient le vol et la fornication, qu’ils ne tueraient[6] point leurs propres enfans[7]. Ce serment fut nommé le serment des femmes, parce qu’elles en prêtaient un semblable[8], et qu’il n’engageait point à prendre les armes pour la guerre sacrée.

Reconnu chef suprême de la religion, Mahomet renvoya les[9] auxiliaires à Médine. Mosaab, disciple fervent, fut chargé de les accompagner et de les instruire. Il devait leur enseigner les cérémonies religieuses du nouveau culte, et leur lire le Coran. Il s’acquitta avec ferveur de cet emploi. À son arrivée, Açad, un des six premiers Cazregites qui avaient cru à la mission de Mahomet, alla le recevoir, et lui fit accepter un appartement dans sa maison. Osaid, seigneur arabe, craignant qu’on ne tramât quelque complot contre la patrie, vint les trouver. Il les aborda la lance à la main, et leur dit : « Quel dessein vous amène ici ? Êtes-vous venus reconnaître l’état de nos forces ? Quittez les murs de Médine, et si vos jours vous sont chers, partez promptement. » Asseyez-vous, lui répondit froidement Mosaab, et écoutez. Il prit le Coran, lui lut quelques versets, et lui exposa les principes fondamentaux de l’islamisme. Osaid trouva la doctrine admirable, et se fit musulman. Intimement lié avec Saad, prince des Awasites, il va le trouver, lui vante la nouvelle doctrine, et le conduit chez Açad, son parent. « Prince, lui dit celui-ci, si les liens du sang n’étaient des titres auprès de vous, je ne souffrirais pas qu’on vous entretînt dans ma maison d’une affaire qui peut vous être désagréable. Seigneur, ajouta Mosaab, daignez m’entendre ; si ma proposition vous agrée, je continuerai ; si elle vous déplaît, je m’arrête sur-le-champ. » Alors l’habile ministre prenant le Coran lut les passages les plus propres à faire impression sur l’esprit de Saad : il réussit au gré de ses désirs. Le prince des Awasites devint croyant.

[10] Nouvel enthousiaste, il se rendit à l’assemblée où se trouvaient les principaux de sa tribu ; il leur parla avec admiration du culte d’un dieu unique ; il leur vanta le bonheur de devenir ses adorateurs, et fit passer dans tous les cœurs son zèle et sa croyance. Le peuple, incapable de résister à l’exemple de ses chefs, se laissa entraîner. Aussitôt que les premiers de Médine eurent courbé leurs têtes sous le joug du mahométisme, semblable à un vaste incendie favorisé par le souffle des vents, il embrasa toute la ville. La seule famille d’Ommia, fils de Seïd, résista à l’empire de la nouveauté, et conserva ses dieux.

    ayant remporté la victoire, exterminèrent ces peuples. Ils vinrent ensuite occuper des villes où ils n’avaient point laissé d’habitans. Ils en demeurèrent en possession jusqu’au temps où l’Aram, ayant rompu ses digues, inonda l’Arabie-Heureuse. Ce fut alors que les Awasites et les Cazregites, échappés aux eaux, se sauvèrent dans l’Hejaz. Ils chassèrent les Juifs d’Yatreb ; mais ils leur laissèrent Khaibar et plusieurs autres forteresses. Abul-Feda. Histoire universelle, prem. part., au chap. des Amalécites.

  1. Abul-Feda, chap. 19.
  2. Ces deux collines sont situées près de la Mecque.
  3. Ahmed ben Joseph, Hist. chap. 40.
  4. Elborak signifie étincelant.
  5. Abul-Feda.
  6. Les Arabes tuaient leurs enfans pour les soustraire à la pauvreté ; ils les immolaient aussi aux autels de leurs dieux pour les rendre propices. Mahomet abolit ces usages barbares.
  7. Ô prophète ! si des femmes fidèles viennent te demander un asile après t’avoir promis avec serment qu’elles fuiront l’idolâtrie, qu’elles ne voleront point, qu’elles éviteront la fornication, qu’elles ne tueront point leurs enfans, qu’elles ne mentiront point, et qu’elles ne te désobéiront en rien de ce qui est juste, donne-leur ta foi, et prie Dieu pour elles. Il est indulgent et miséricordieux. Le Coran, chap. 60, verset 12.
  8. Abul-Feda. p. 41.
  9. Les habitans de Médine, qui embrassèrent l’islamisme, qui prêtèrent serment d’obéissance à Mahomet, et s’enrôlèrent sous ses étendards, furent nommés Elansar, les auxiliaires.
  10. Abul-Feda, Vie de Mahomet, page 42.