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Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, Orthographe et prononciation

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Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome XI (p. lxxxiii-xci).
ORTHOGRAPHE ET PRONONCIATION.

On peut voir dans l’article de l’Introduction grammaticale du Lexique de Mme de Sévigné qui est consacré à l’orthographe[1], que, si l’on a eu tort de dire qu’elle ne la savait point ou n’en avait nul souci, elle prenait du moins à cet égard certaines libertés.

Il n’en est pas de même de Corneille. Homme de lettres de profession, il se piquait de régularité en cette matière, et se conformait assez exactement à l’usage de ses contemporains.

Il s’est même rapproché, sur plusieurs points, de nos habitudes actuelles par la tentative de réforme orthographique, fort mesurée et généralement sage, mais toutefois un peu subtile, qu’il a exposée dans l’avis Au lecteur de l’édition de 1663 de son Théâtre, et qu’il rappelle à la fin de la préface de l’édition de 1665 de l’Imitation[2].
ÉDITIONS IMPRIMÉES DU VIVANT DE CORNEILLE.

a) Beaucoup de mots gardaient dans l’orthographe, et peut-être dans la prononciation, des traces, aujourd’hui effacées, de leur source latine. En voici quelques-uns :

Colomne : voyez tome V, p. 380, note 2, et tome VI, p. 258, note 1.

Conclud, au présent, pour conclut. (iii, 496. Pol. 213.)

Bienfaicteur et bien-faiteur, tome IX, p. 293, note 1.

Function : voyez l’article Fonction, au Lexique, tome I, p. 438.

Ponctuellement et punctuellement : voyez le Lexique, tome II, p. 198.

Prebstre, pour prêtre. (ix, 212. Off. V.)

Submission, soumission et soumission : voyez ces mots dans le Lexique, tome II, p. 347 et 348 ; voyez aussi tome VII, p. 131, note 2 ; tome VIII, p. 236, note 3 ; p. 257, note 1 ; p. 267, note 1 ; p. 397, note 3 ; et tome X, p. 77 (Poés. div. 75).

Soumettre et soubmettre : voyez tome V, p. 47, note I.

Substraction : voyez le Lexique, tome II, p. 353.

Subjétion et sujétion : voyez tome VIII, p. 64, note 2.

Unzième :

On a fait contre vous dix entreprises vaines ;
Peut-être que l’unzième est prête d’éclater. (iii, 406. Cin. 491.)

b) Certains mots qui ont des acceptions diverses, et dont l’orthographe varie maintenant selon ces acceptions, n’avaient alors qu’une seule forme, ou du moins, lors même qu’il existait à la fois des formes orthographiques diverses, elles étaient employées indifféremment et sans un rapport particulier à chacune des acceptions.

Appât s’écrivait appas aussi bien au sens figuré qu’au sens propre et au singulier qu’au pluriel :

Ce change à mon courroux jetoit un faux appas. (ii, 282. Pl. roy. 1131.)
… Sa feinte douceur, sous un appas mortel,
Mène insensiblement sa victime à l’autel. (ii, 354. Méd. 291.)
Il liait toute contrainte, et son plus doux appas
Se goûte quand on aime et qu’on peut n’aimer pas. (ii, 475. Illus. var.)
Quelque appas que lui-même il trouve en Laodice… (v, 564. Nic. 1180.)

… Ce riche tombeau que lui fait son vainqueur
N’est qu’un appas superbe à surprendre mon cœur. (vi, 30. Perth. 246.)
Il pouvoit, sous l’appas d’une feinte promesse,
Jeter dans les soldats un moment d’allégresse. (vi, 629. Oth. 1261.)
Si vous leur ordonniez à tous deux de m’en croire,
Et que l’obéissance eût pour eux quelque appas… (vii, 72. Agés. 1570.)
Leur appas dangereux (des mauvaises coutumes), chaque fois qu’il surprend,
Forme insensiblement un obstacle plus grand. (viii, 74. Imit. i, 748.)
Tu n’as rien tant à craindre et rien tant à blâmer
Que l’appas du péché qui cherche à te charmer, (viii, 277. Imit. iii, 372.)
Mille à leurs faux appas se laissent enchaîner, (viii, 67. Imit. i, 633.)


Voyez en outre le Lexique, au mot Appas, tome I, p. 63 et 64.

Dessin et dessein : voyez le Lexique, tome I, p. 287 et 288.

Différens, pour différends, tome I du Lexique, p. 303.

Anoblir et ennoblir, tome I du Lexique, p. 367.

c) Plusieurs mots, invariables de leur nature, avaient deux orthographes.

Voyez dans le Lexique : Avec et Avecque ; Donc et Donques ; Même et Mêmes ; Presque et Presques. Nous n’y joignons pas les deux formes, encore employées l’une et l’autre aujourd’hui, Jusque et Jusques, au sujet desquelles on peut voir, outre l’article qui les concerne dans le Lexique, celui de Bout ; et au tome I des Œuvres, p. 53, note 1 ; au tome V, p. 361, note 1.

d) Certaines lettres qui aujourd’hui s’écrivent, plusieurs même de celles qui se prononcent, étaient supprimées du temps de Corneille dans la prononciation comme dans l’écriture.

Ainsi la lettre c dans le mot abject, qui s’écrivait et se prononçait abjet :

Je ne veux pas d’un sang abjet comme le tien. (v, 66. Théod. 1138.)

Voyez de nombreux exemples dans le Lexique, au mot Abjet.

Le d se supprimait de même dans plusieurs mots. Adversaire s’écrivait souvent aversaire, et avenir a décidément remplacé advenir dans l’édition de 1682 (voyez le Lexique, aux mots Adversaire et Avenir). On doit voir là une transcription fidèle de la prononciation du temps ; l’usage était très-variable dans les cas de ce genre, et il était impossible de conclure d’un mot à l’autre : ainsi nous apprenons du P. Chiflet qu’on disait ajuger et adjudication.

On écrivait fast sans e : voyez le Lexique, tome I, p. 425.

Compte s’écrivait presque toujours par nt, conte, tant en prose qu’en vers (voyez tome X, p. 434> Lettr., note 1) ; nous ne lui avons, dans notre édition, laissé cette forme qu’à la rime. Voyez I, 150, Mél. 134 var. ; I, 167, Mél. 433 ; I, 35O, Clit. 1530 ; II, 156, Suiv. 578 ; II, 348. Méd. 166 ; II, 454, Illus. 397 ; III, 171, Cid, 1230 ; IV, 227, Ment. 1581 ; IV, 298, S. au Ment. 192 ; V, 74. Théod. 1307 ; V, 457, D. San. 937 ; VI, 56, Perth. 844 ; VI, 635, Oth. 1386 ; VII, 124, Att. 406, et note 2 ; VIII, 45, Imit, I, 264 ; X, 159, Poés. div. 30. — Il en était de même pour compter (conter) : « Cette syllabe n’est jamais contée à rien.» (i, 9, Au lect.) ; pour mécompte (méconte), II, 279, Pl. roy. 1078 ; et pour mécompter (méconter), II, 317, Tuil. 170.

L’s ne se prononçait pas dans le mot restreindre, qu’on imprimait souvent rétraindre, conformément à la prononciation. Voyez tome I, p. 35, note 2 ; p. 54, note 1 ; p. 112, note 1 ; et tome VIII, p. 670, note 1.

e) Remarques diverses :

Corneille aspire l’h du verbe hésiter :
Et bien que sur le choix il semble hésiter, (vii, 127. Att. 459.)
Voyez un autre exemple et quelques éclaircissements à ce sujet dans le Lexique, tome I, p. 480, au mot Hésiter.

Dans halte, au contraire, l’h n’était pas aspirée et se supprimait même dans l’écriture :
Rien n’étonne : on fait alte, et toute la surprise
N’obtient de ces grands cœurs qu’un moment de remise. (x, 274. Poés. div. 313.)
Voyez la note 1 de la page indiquée. — Les deux formes alte et halte se trouvent, en 1611, dans le Dictionnaire de Cotgrave. Bichelet, en 1680, et Furetière, en 1690, ne donnent que alte. Dans le Dictionnaire de l’Académie de 1694. non-seulement halte est écritavec une h, mais le lecteur est prévenu que « l’h s’aspire. »

Horizon, que nous écrivons avec une h muette, est écrit orizon dans Andromède (tome V, p. 352, note 4).

Dans le mot héroïque, nous trouvons la lettre h aspirée chez Corneille antérieurement à l’année 1660 ; et muette à partir de cette époque : voyez l’article Héroïque. — Voyez aussi les mots Harpie, Hollande.

H ajoutée dans certains mots, chable pour câble : voyez le Lexique, au mot Câble.

C doublé dans sucer, écrit succer : voyez tome VI, p. 172, note 1.

Notre mot portrait, qui s’est généralement écrit au seizième siècle protrait ou pourtrait, a conservé encore, une seule fois il est vrai, dans une indication de mise en scène de la Suite du Menteur, cette dernière forme, qui n’est pas restée bien longtemps en usage (tome IV, p. 338, note 1).

Impourvu, qui se trouve dans les premières comédies de Corneille, a été de bonne heure remplacé par imprévu :
Son adultère amour, son trépas impourvu, (ii, 521. Illus. 1632 var.)
En 1644 :
Son adultère amour, son trépas imprévu.
Un prompt saisissement, une atteinte impourvue
Qui nous blesse le cœur en nous frappant la vue. (ii, 314. Tuil. 105.) Voyez, au Lexique, le mot Impourvu.

Les formes ol et ou étaient prises l’une pour l’autre. Nous lisons par exemple dans le Menteur :
Alcippe, êtes-vous fol — Je n’ai plus lieu de l’être, (iv, 167. Ment. 489.)
Fol est ainsi écrit dans toutes les éditions imprimées du vivant de l’auteur, sauf précisément les deux premières, celles de 1644 qui portent fou, qu’on ne retrouve plus qu’en 1692. Dans la même pièce, au contraire, ce vers :
Elle se jette au col de ce pauvre vieillard (iv, 175, Ment. 624),
n’est ainsi orthographié que dans l’édition de 1656 ; partout ailleurs il y a cou.

On trouve, dans les Poésies diverses, soldan, pour soudan ; les deux formes étaient alors en usage : voyez tome X, p. 211, note 1.

A, où nous mettons e :

Damoiselle et Madamoiselle : voyez tome II, p. 430, note  1 ; et tome VIII, p. 163, note 1.

Guari, pour guéri. Cette forme ne se trouve que dans l’édition in-12, du Cid, imprimée en 1637 : voyez tome III, p. 111, note 4. Courratier, pour courretier, ou pour notre mot actuel courtier : voyez le Lexique.

Manottes : voyez le Lexique.

Marcenaire : voyez tome VII, p. 251, note 1. Il faut remarquer que cette orthographe, qu’on croirait la plus ancienne, ne se trouve que dans les éditions de 1682 et de 1692.

La permutation de l’e et de l’a était alors très -fréquente. Chiflet (Essay d’une parfaite grammaire, p. 242) nous apprend qu’en 1668 arrhes, catarrhes se prononçaient errhes, caterrhes, et que la cour disait encore sarge, au lieu de serge.

A, au lieu d’ai :

Fantasie, pour fantaisie : voyez tome II, p. 220, note 2 ; p. 493, note 3 ; p. 508, note 4. Ailleurs nous trouvons fantaisie, par exemple au vers 389 de la Galerie du Palais, tome II, p. 39.

Rejallir, pour rejaillir : voyez tome III, p. 348, note 3 ; tome VI, p. 179, note 1 ; p. 541 ; tome VII, p. 239, note 1 ; p. 264, note 1 ; tome IX, p. 487, note 4 ; et le Lexique.

Rejallissement : voyez tome VI, p. 345, note 3, et tome VIII, p. 590, note 1.

Ai, pour a.

Gagner était souvent écrit gaigner, du moins dans les plus anciennes éditions : voyez tome II, p. 41, note 4 ; p. 190, note 1 ; p. 465, note 1 ; et tome V, p. 358, note 1.

Coral, pour corail : voyez le Lexique.

Ai, ay, pour é, à la désinence du présent de l’indicatif, devant je :

Dussay-je être impudent autant comme importun. (i, 368. Clit. var.)
Puissay-je vous donner l’exemple de souffrir ! (iii, 520. Pol. 707.)
Ne méritay-je point de part de vos conquêtes ? (vi, 388. Sert. 610.)

Eu, écrit ef :

Vefve : voyez le Lexique, tome II, p. 423 et 424

Eu, écrit ne :

Dueil. Voyez tome III, p. 197, note a.

Les formes eu et ou coexistaient dans des mots où nous n’avons conservé que la dernière ; on disait treuver presque aussi fréquemment que trouver :

Je le treuvai sans vie… (iii, 143. Cid, note b.)


— Voyez aussi tome V, p. 36, note 3.

O, au lieu d’oi :

Ambrosie : voyez ce mot au Lexique.

Certains mots ordinairement écrits par oi (ois) le sont par ai (ais), es dans les éditions originales, ou riment avec des mots écrits par ai, ce qui indique comment dès lors la syllabe oi se prononçait dans ces mots :

Avant que de la voir, avant que de cognestre
Si ses attraits auront de quoi le faire naistre… (ii, 313. Tuil. 49.)
Si mon soupçon est vrai, je lui ferai connoitre
Que je ne suis pas homme à seconder un traître. (i, 470. Veuve, 1383.)


Voyez, au Lexique, le mot Connoître.

Je les prendrai toujours quand je les verrai naître.
— Hippolyte, en ce cas, saura le reconnoître, (ii, 18. Gal. 17.)

Cette haute vertu va toutefois renaistre :
À quelques traits déjà je crois la reconnaistre, (x, 119. Poés. div. 54, note 1.)


Nous avons fait remarquer que c’est Granel qui a, le premier, remplacé, dans ce dernier vers, ais par .

Le verbe paroistre surtout rimait plus fréquemment avec les mots qui s’écrivent et se prononcent aître on être, qu’avec ceux qui te prononcent oître : voyez le Lexique. Dans la Comédie des Tuileries, cet infinitif est, a plusieurs reprises, écrit parestre.

Pensez à l’accepter sans me faire parestre
Que quand je suis content vous avez peine à l’estre. (ii, 315. Tuil. 117, note 1.)
Exceptez-en Aglante, il m’a bien fait parestre
Que Florine n’est pas ce qu’elle pensoit estre. (ii, 322. Tuil, 309.)

Croître, prononcé crêtre : voyez le Lexique.

On peut voir, à l’article Adroit, le féminin adroite rimer avec retraite ; voici un passage de la Comédie des Tuileriesadroitement est écrit adrettement :

Que votre esprit est rare et sait adrettement
Faire une raillerie avec un compliment ! (ii, 322. Tuil. 299.)


Maladroit se prononçait maladret.

O, pour ou :

… Du sang allemand fit ruisseler Bovines. (x, 211. Poés. div. 258.)

Ouil, pour ou :

Genou est écrit genouil dans ce vers des premières éditions de Clitandre :

Un seul du genouil droit offense la jointure.


Voyez tome I, p. 366, où nous aurions dû signaler cette orthographe comme nous l’avons fait ailleurs (tome IX, p. 490, note 1, et p. 524, note 1).

C, pour g :

Corneille écrit crotesque, suivant l’usage habituel de son temps : voyez le Lexique, au mot Grotesque, tome I, p. 471.

Les permutations de c et de g étaient fréquentes alors. Ménage veut qu’on écrive segond, segret, segretaire, ganif ; Chiflet prétend qu’on prononçait vacabond ; au reste, encore maintenant, nous disons cangrène, tout en écrivant gangrène.

G, pour q :

On hésitait autrefois entre intrigue et intrique. Corneille a préféré cette dernière forme :

Cette possession de vous-même, que vous conservez si parfaite parmi tant d’intriques…(ii, 220. Épît. de la Pl. roy.)


Cette forme ne se trouve en cet endroit que dans les éditions de 1644-1657 ; la première édition de la Place royale porte intrigue, mais, dans les autres passages où ce mot est employé, il y a d’ordinaire intrique dans toute la série des éditions imprimées du vivant de l’auteur : voyez le Lexique, à l’article Intrigue.

Il dit de même intriqué, pour intrigué :

Ce n’est pas qu’il n’y aye des pièces d’une espèce si intriquée qu’il échappe beaucoup de choses à la première représentation, (x, 454. Lettr.)

Ge, pour z :

Bigearre, au lieu de Bizarre : voyez ce mot au Lexique, tome I, p. 123.

S, au lieu d’x :

On trouve, non pas, à proprement parler, dans les Œuvres de Corneille, mais seulement dans la Comédie des Tuileries, imprimée d’après un système orthographique assez particulier, courrous, jalous, au lieu de courroux, jaloux : voyez tome II, p. 313, note 2 ; et p. 322, note 2.

Dans des pièces publiées par lui-même, on rencontre soit flus et reflus (les deux mots par s), soit flux (par x), suivi de reflus (par s) : voyez tome I, p. 420, note a ; tome VI, p. 515, note 3 ; et au Lexique, les articles Flux et Reflux.

T, au lieu de d :

Nort, pour nord : voyez tome IX, p. 625, note 2.

T, pour s :

Rhinocérot, pour rhinocéros : voyez tome VI, p. 300, note.

Élision de l’e muet, apostrophe.

On remplaçait souvent par l’apostrophe des e muets qui maintenant s’écrivent, bien que la prononciation les élide. Ainsi : contr’eux (iii, 294, Hor. 300) ; entr’eux (iii, 320, Hor. 889) ; quoiqu’énorme (iii, 344, Hor. 1417) ; quelqu’autre (iii, 489, Pol. 58), ailleurs quelque autre.

On supprimait par fois l’e élidé d’encore :

Qu’arrache encor un nom tr… Excuse les soupirs
Qu’arrache encor un nom trop cher à mes désirs. (iii, 495. Pol. 172.)

On trouve écrit sans apostrophe, selon l’ancien usage : à grand peine, pour à grande peine, à grand’peine (iii, 536. Pol. 1044.)

On constatait par l’apostrophe l’origine de naguère (il n’y a guère), qu’on imprimait n’aguère (iii, 495. Pol. 173.

Mots composés.

Pour un bon nombre de composés, la fusion ou n’était pas faite encore, ou était moindre qu’à présent. Ainsi l’on écrivait en deux mots : par tout, sur tout, quoi que conjonction, en suite, long temps, etc. ; de même chevaux légers, au lieu de chevau-légers (autographe de la lettre à Colbert, 1678) ; on conservait 1’s de plus dans plustost, la pluspart, de hors dans horsmis ; on séparait par un trait d’union les éléments des composés : mal-adroit, mal-heureux, mal-traiter, bien-faiteur, bien-séance, etc. L’usage à cet égard était encore incertain et flottant ; on trouve concurremment dans l’édition de 1682 : mal adroit et mal-adroit ; bien séance (en deux mots) et bien-séance, mal-aisé, mal-aisément et malaisément (soit en un mot, soit en deux) ; bien-heureux et bienheureux ; vray semblable et vray-semblable. Voyez aussi au Lexique les verbes commençant par la préposition entre.

Quelques mots, au contraire, étaient plus étroitement joints que dans l’usage actuel, par exemple : non-plus, des-lors et deslors, etc.

Accentuation.

Sur le système d’accentuation de la dernière édition de Corneille (1682) et de celle que son frère donna dix ans après (1692), nous nous bornerons à deux ou trois remarques.

Ces éditions ne connaissent pour ainsi dire pas l’accent grave ; il semble qu’on ne l’y emploie çà et là que par inadvertance ; elles marquent de l’accent aigu aussi bien l’e ouvert que l’e fermé. Ainsi piéce, scéne, maniére, etc. Elles en marquent aussi, contrairement à notre usage, les e suivis d’x ; ; ainsi : éxamen, éxemple, éxécuter, etc. L’accent aigu se place encore sur certains e qui, si nous en jugeons par là, devaient se prononcer alors autrement qu’aujourd’hui : prémier, prémière, sémence (1682, tome I, p. xlviii), etc. Nous voyons aussi constamment accentué l’e du démonstratif cét. Corneille a fait rimer assiège avec privilége, mais d’Aubignac le lui a reproché. Voyez, ci-après, rime, p. xciv.
MANUSCRITS AUTOGRAPHES DE CORNEILLE.

Si nous passons à l’examen de l’orthographe de Corneille dans ses autographes, nous ne trouvons point de particularité bien dignes d’attirer l’attention. L’orthographe de notre poëte, en général fort régulière pour le temps, est à peu près conforme à celle des principales éditions de son Théâtre.

Les deux fac-similé que nous joignons à cette édition, l’un d’une page, écrite avec soin, des Hymnes de sainte Geneviève, l’autre d’une lettre de trois pages, au R. P. Boulait, très-rapidement tracée, donneront au lecteur une idée suffisante de cette orthographe, qui ne se dément guère dans les trop rares manuscrits de Corneille qui sont parvenus jusqu’à nous ; il faut en excepter toutefois la lettre adressée par lui à Colbert dans les derniers temps de sa vie : elle présente quelques traces des réformes proposées dans l’édition de 1663, notamment la distinction de l’i et du l’j et celle de l’u et du v.

Les observations suivantes faciliteront l’examen de nos fac-simile ; nous nous sommes assuré que les exemples tirés des autres manuscrits de Corneille ne feraient que les confirmer.

a) Lettres destinées, pour la plupart, à indiquer l’étymologie, et aujourd’hui supprimées :

A. 
Aage (Hymnes).
B. 
Desrobbée, doibs (lettre à Boulart) ; doibvent, soubs, prebtre (1er juillet 1641) ; desrobbe (28 mai 1650).
C. 
Saincts, toicts, traicts (Hymnes) ; pacquet, sçavoir (lettre à Boulart) ; contracts, vous scaurez (1er juillet 1641) ; scavante (6 mars 1649) ; je scay (28 mai 1650).
D. 
Adiuster (lettre à Boulart) ; iadvertis, adveu (28 mai' 1650) ; iadvoue (3 juin 1650) ; advis (9 juillet 1658).
E. 
Asseurée, seureté, seure, deue (Hymnes) ; receu, peu (ailleurs ), veu (lettre à Boulart et passim) ; j’ay creu (28 mai 1650).
F. 
Geneviefve (Hymnes).
G. 
Cognoissies, cognoistre (6 mars 1649).
H. 
Cholere (Hymnes) ; melancholique (1er juillet 1641) ; autheur (lettre à Boulart) ; authoriser, authorité (3 juin 1650).
L. 
Hault, estoilles, allarmés, fidelle, pilliers (Hymnes) ; tiltres (1er juillet 1641).
N. 
Honnore (Hymnes).
P. 
Trouppe (Hymnes) ; recepte (1er juillet 1641) ; Appollodorus (28 mai 1650).
S. 
Vespres, mesme, naistre, apostres, nostre, trosne, apreste, osast, abismes, depost, estoit (ailleurs étoit), preste, estat, restablie, brusle, aussitost (Hymnes) ; Pasques, vostre, festes, couster (lettre à Boulart) ; escus, monstrer, s’il vous plaist, escriray, quatriesme (1er juillet 1641) ; soustenir, desguiser, esblouir, prest, eschappe, plustost (dans les deux sens), pluspart, demesler (28 mai 1650) ; hostel, hostellerie, costé, interests, desdit, mareschal, presechoit, desia, mestier, resveiller (9 juillet 1658).
T. 
Touts, fuitte (Hymnes) ; ietté, datte (lettre à Boulart) ; ie produits (1er juillet 1641) ; neantmoins (9 juillet 1658).
U. 
uides (3 juin 1650).

b) Mots écrits plus simplement qu’aujourd’hui, et, pour la plupart, d’une manière moins rapprochée de l’étymologie, mais conforme à l’usage le plus ordinaire du dix-septième siècle :

Flame, someil embarassent, flateuse, emprisonez, elle romp, prens, entens (Hymnes) ; rabatiés (6 mars 1649) ; conte (pour compte), sept mil neuf cent… livres, cinq cents quatrevints (1er juillet 1641), etc., etc.

c) Lettres substituées à d’autres :

A où nous mettons E : 
Vangeance, vangeur (Hymnes) ; mandie (lettre à Boulart).
C . . . . . . . . . S ou SS : 
Offence, offencant, offencé (lettre à Boulart, et lettre du 9 juillet 1658) ; faciès (fassiez) (6 mars 1649).
I . . . . . . . . . . . . . . Y : 
Deploiant (Hymnes).
N . . . . . . . . . . . . . . M : 
Inputerois (6 mars 1649).
S . . . . . . . . . . . . . . X : 
Deus (lettre à Boulart).
S . . . . . . . . . . . . . . Z : 
Iugerés, daigniés, aués (lettre à Boulart) ; rabatiés, faciés (6 mars 1649) ; mais dans les Hymnes de sainte Geneviève (voyez tome IX, p. 623, note 2), et dans la Lettre à Colbert, cette désinence est toujours écrite ez : aviez, aurez.
T . . . . . . . . . . . . . . C : 
Pretieuse (Hymnes) ; pretieuses (lettre à Colbert).
T . . . . . . . . . . . . . . D : 
Nort (Hymnes).
U . . . . . . . . . . . . . . O : 
Unze (lettre à Boulart).
Y . . . . . . . . . . . . . . I : 
(très-souvent dans le corps des mots, et presque toujours à la fin) : Ayme, lys, tu voys (Hymnes) ; voye, aye (lettre à Boulart) ; aydes, ie vous supplye (1er juillet 1641) ; hyver(6 mars 1649) ; amy, appuy, essay, foy, roy, hardy, banny, conuerty, voicy, ainsy, parmy, moy, i’ay, ayie (ai-je), i’ecriray, etc., etc. (passim).
Z . . . . . . . . . . . . . . S : 
Feux redoublez, epuisez, purgez, sacrez, etc. (passim).
Ol . . . . . . . . . . . . . Ou : 
Six sols (1er juillet 1641).

Nous ne notons pas certaines variations d’orthographe comme tout le monde s’en permet et surtout s’en permettait autrefois : remerciement et remercîment, Aurange et Orange, etc. (voyez le tome I du Lexique de Mme de Sévigné, p.  lxxiii et lxxiv). Les diversités de cette sorte sont, du reste, assez rares chez Corneille.

On verra dans les fac-simile, et l’on peut déjà remarquer dans quelques-uns des exemples qui précèdent, que Corneille omet souvent la cédille, que la plupart du temps il ne met point les apostrophes, et ne sépare pas les mots entre lesquels elles doivent se trouver, et qu’il n’est pas plus exact à accentuer les e que ses contemporains, auxquels il a fait pourtant, l’un des premiers, dans la préface de l’édition de son Théâtre de 1663, une curieuse leçon sur les trois sortes d’e, qui est devenue le point de départ de ce que toutes les grammaires enseignent de nos jours.

  1. Pages lxx-lxxxiv.
  2. Voyez tome I, p. 4-12, et tome VIII, p. 16. Nous avons fait imprimer l’avis Au lecteur de 1663 avec l’orthographe même proposée par Corneille, et nous y avons joint des notes explicatives.

    Une de ces notes (la première de la page 8) renvoyait à des Observations de l’Académie françoise touchant l’orthographe, rédigées par Mézeray et accompagnées de remarques de divers académiciens ; ici, où nous traitons particulièrement de l’orthographe, il ne sera peut-être pas inutile de reproduire tout le passage où la tentative de Corneille est appréciée par plusieurs de ses confrères :

    « Mr de Corneille a proposé que pour faire connoistre quand l’s est muette dans les mots ou qu’elle siffle, il seroit bon de mettre une s ronde aux endroits où elle siffle, comme à chaste, triste, reste’, et une s longue aux endroits où elle est muette, soit qu’elle fasse longue la voyelle qui la précède, comme en tempeste, feste, teste, etc., soit qu’elle ne la fasse pas, comme en escu, espine, desdire, espurer. »

    « L’usage en seroit bon, ajoute Segrais, mais l’innovation en est dangereuse. »

    « Ie n’y trouve point d’inconvenient, sur tout dans l’impression, réplique Doujat, et ce n’est plus une nouveauté, puisque M. de Corneille l’a pratiqué depuis plus de dix ou douze ans. »

    « Où est l’inconuenient ? dit Bossuet ; ie le suiurois ainsi dans le dictionnaire et i’en ferois une remarque expresse où i’alleguerois l’exemple de Mr Corneille. Les Hollandois ont bien introduit u et v pour u voyelle et u consone, et de mesme i sans queue ou auec queue. Personne ne s’en est formalisé ; peu à peu les yeux s’y accoustume (sic) et la main les suit. » (Cahiers de remarques sur l’orthographe françoise pour estre examinez par chacun des Messieurs de l’Académie… publiés par Ch. Marty-Laveaux ; Paris, 1863, in-12. p. xxv et xxvi.) — Ce sont peut-être ces innovations, pourtant si mesurées, qui ont engagé un réformateur des plus hasardeux de l’orthographe française, Lartigaut, à invoquer à l’appui d’une de ses idées nouvelles (il ne voulait pas qu’on mit d’i devant les li mouillées) l’autorité de Corneille : « J’é lu, dit-il, dans un recueil de poézies de Monsieur Corneil :


    Qu’il vous veulle anviër, etc.,


    sans i, — je veus an donner louange à l’auteur, plutôt qu’à l’inprimeur. » (Les Principes infallibles, 1670.)

    Thomas Corneille a pris bien probablement une part fort directe, et plus grande que celle de son frère, à ce manifeste grammatical, qu’une note de l’édition de 1723, publiée à Paris, chez Henri Charpentier, lui attribue même exclusivement. Il est certain du moins que Pierre Corneille ne s’est point soumis, dans ce qu’il a écrit de sa main après 1663, à ces règles imposées à ses imprimeurs et très-imparfaitement suivies par eux. Toutefois, dans sa supplique à Colbert, qui est de 1678, il semble qu’il ait voulu en appliquer quelques-unes.

    Nous n’avons nulle envie de faire ici un traité d’orthographe au dix-septième siècle ; telle n’est pas notre tâche en tête de ce Lexique : nous nous bornerons à signaler ce qui nous paraît le plus digne de remarque, d’une part, dans les éditions des Œuvres de Corneille publiées de son vivant, surtout dans celles qui ont suivi l’avertissement sur l’orthographe dont nous venons de parler ; et, d’autre part, dans les manuscrits autographes qui nous restent de notre poëte.