Correspondance (Diderot)/41

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Correspondance générale, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXIX (p. 498-500).


XLI


À JOHN WILKES[1].
Paris, 2 avril 1768.
Monsieur,

J’ai reçu avec le plus grand plaisir la nouvelle de votre élection. Je me trouvais avec le président quand votre lettre me fut remise ; elle fut lue immédiatement, et toute la compagnie, qui était très-nombreuse, fut ravie de votre succès. Vos vertus sociales rendront en tout temps et partout votre mémoire chère et précieuse à vos amis et la justice qui vous a été rendue d’une manière si publique et si distinguée vous indemnise suffisamment des ennuis de votre exil. Quelle satisfaction de régner sur le cœur des hommes ! Vous régnez sur ceux de vos concitoyens, et vous méritez de régner sur eux dont vous avez défendu les droits ; en véritables enfants de la liberté qu’ils sont, ils ont couronné par acclamation le champion de leurs libertés.

L’unanimité peu commune avec laquelle les électeurs ont voté en votre faveur est une preuve incontestable de leur impartialité. La corruption, l’intrigue et les manœuvres clandestines, qui sont si communes dans les élections, n’ont pas eu place dans la vôtre. L’amour de la liberté enflammait chaque poitrine et dictait le suffrage des électeurs indépendants. Et je ne doute pas que vous n’eussiez été choisi par Londres elle-même, où les intérêts différents qui naissent du commerce ont mis tant de ressorts en mouvement, si, à Guildhall, les électeurs avaient été aussi libéraux qu’ils sont intéressés au commerce : mais l’intérêt, vous le savez, gouverne le monde.

Votre conduite calme et paisible vous fait un honneur infini et vos principes généreux et patriotiques rendront votre nom immortel. Vous avez quitté Paris, cette agréable retraite, où votre amabilité et vos manières affables vous avaient gagné tant d’amis ; et nonobstant tous les divertissements que nous nous sommes efforcés de vous procurer dans le but de rendre votre séjour le plus agréable possible, vous observiez les événements et vous avez volé à la défense des droits de votre pays. Coriolan méditait la ruine du sien, et, sous prétexte de défendre ses libertés, se proposait de lui faire sentir le joug douloureux de l’esclavage, après avoir démoli ses murs. Poussé par un sentiment infiniment plus noble, vous rentrez dans le vôtre en pacificateur, et comme récompense de tout ce que vous avez souffert pour sa cause, vous ne demandez cependant qu’à être encore tout à son service.

En ce moment, Londres vous ouvre ses portes et les citoyens leurs cœurs ; mais la plus grande partie des électeurs, contraints ou paralysés par la puissante influence des autres candidats, n’ont point osé s’aventurer à vous donner leurs votes. L’indépendant et fameux comté de Middlesex vous a d’ailleurs indemnisé des secrètes machinations des uns et de la dégradante pusillanimité des autres. L’Europe sera surprise de votre patriotisme et de votre succès ; ou plutôt elle admirera l’un et se réjouira de l’autre. Je suis le premier à vous féliciter à cette occasion et à joindre mes compliments à ceux de tous les amis de l’humanité, qui certainement ne voulut jamais se consumer dans les fers.

L’auguste sénat de la Grande-Bretagne comptera encore un Wilkes parmi ses plus illustres membres ; et la liberté de votre pays trouvera en vous un généreux défenseur de ses droits et de ses privilèges.

J’ai l’honneur d’être, etc.



  1. Publiée t. V, p. 243, de The Correspondence of the late John Wilkes with his friends. London, 1805, 5 vol. in-8. C’est la traduction de la « translation » en anglais que nous publions.