Correspondance (Diderot)/70

La bibliothèque libre.
Correspondance générale, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXX (p. 74).


LXX

À DESESSARTS[1]
28 octobre.

Vous avez, monsieur, des droits à mon estime comme acteur, et à mon amitié comme compatriote[2] ; je désire de vous servir. On dit que vous faites à merveille le rôle du commandeur dans le Père de Famille et je n’ai pas de peine à le croire. Vous pouvez donc le solliciter en mon nom, au premier comité. Représentez que mon ouvrage ne m’a jamais rien rendu ; et que si l’on veut m’accorder une marque de reconnaissance à laquelle je serai très-sensible, on vous accordera, à vous, monsieur, la croix du sire d’Auvilé. J’espère que mon cher fils Molé et le bon père Brizard voudront bien s’employer en votre faveur. Saluez-les de ma part, monsieur le commandeur. Quoique vous soyez un fort méchant homme sur la scène, je sais que vous êtes un fort galant homme dans la société, et j’embrasse de tout mon cœur celui qui a mieux aimé amuser et instruire ses concitoyens que de les ruiner[3].



  1. Archives de la Comédie-Française. Publiée dans la Revue rétrospective, 2e série, t. VII, p. 483.
  2. Denis Dechanet, dit Desessarts, né à Langres en 1737, mort en 1793, excellait dans les financiers, les manteaux et les grimes. Son embonpoint servait de motif à des plaisanteries citées un peu partout.
  3. Pour faire comprendre ce dernier trait, il suffit de rappeler que Desessarts avait été procureur avant d’être comédien. Il paraît que la gaieté du mot plut à celui auquel il était adressé, car on le trouve gravé au bas du portrait qu’on fit de lui lorsque son talent l’eut rendu tout à fait célèbre. On y lit : « J’aime mieux faire rire les hommes que de les ruiner. » (Note de M. Taschereau.)